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Mediapart
Violences dans les écoles catholiques : et si c’étaient des établissements musulmans ?
#ecolescatholiques #ecolesmusulmanes #EducationNationale
Article mis en ligne le 12 avril 2025
dernière modification le 10 avril 2025

Au fil des scandales qui touchent l’enseignement catholique et des auditions menées par la commission d’enquête parlementaire sur les violences en milieu scolaire, l’écart est de plus en plus flagrant : en France, selon que vous êtes catholique ou musulman, votre établissement sera traité différemment.

À l’Immaculée-Conception, cité scolaire de 2 600 élèves située à Pau, la loi de Dieu semble primer sur celle de la République. L’instruction religieuse est obligatoire, les cartables sont bénis, et les élèves contraint·es d’écouter des intervenants réactionnaires et complotistes. Dans le CDI, les manuels scolaires de l’Éducation nationale sont remplacés par des livres orientés vers « la critique de la République, l’apologie voire l’obsession du martial, du combat et de la guerre ».

À la place des cours d’éducation à la vie affective et à la sexualité, des intervenants tiennent des discours homophobes, anti-avortement et banalisent le viol. Les élèves qui effectuent des saluts nazis ne sont pas sanctionnés et le directeur lui-même est visé par une plainte de SOS Racisme pour avoir publié un édito jugé négationniste. Deux autres plaintes l’accusent de harcèlement moral et détournement de fonds publics. Des syndicats et des inspecteurs font tous le même constat : l’établissement ne respecte ni le Code de l’éducation ni les valeurs de la République.

Pourtant, aucune autorité ne souhaite ni même n’envisage de mettre fin à son contrat d’association avec l’État. (...)

À Notre-Dame-de-Bétharram, dans la même région, l’institution est secouée par un scandale médiatisé depuis novembre 2023.

Deux cents plaintes sont déposées pour des faits de violences physiques et sexuelles s’étalant de 1950 à 2013. Des signalements pour des faits de violences ont également eu lieu en 2019 et en 2024 sans qu’il ne se passe rien.

Inactions en série

Romain Clercq, le directeur actuel, est pourtant lui aussi mis en cause. En février 2024, il est alerté directement et précisément sur les accusations qui pèsent sur l’un de ses surveillants. Patrick M., toujours en poste aujourd’hui, est alors visé par huit plaintes pour des violences, des agressions sexuelles et des viols commis sur des élèves, et certains faits ne sont pas prescrits. (...)

Pourtant, aucune autorité ne souhaite ni même n’envisage de mettre fin à ce contrat d’association. (...)

Depuis février 2025, et les mensonges de François Bayrou pour protéger Notre-Dame-de-Bétharram, les témoignages mettant en cause l’enseignement catholique coulent à flots. Les titres de presse, loin d’être exhaustifs, dessinent des violences massives et systémiques. (...)

Malgré l’ampleur de ces témoignages et la révélation de dysfonctionnements tout à fait actuels, aucune autorité ne souhaite ni même n’envisage de mettre fin aux contrats d’association de ces établissements.

Autre illustration récente, au sein du lycée parisien Stanislas, plus personne n’ignore le sexisme, l’homophobie et l’univers autoritaire prônés par l’établissement et les procédures pénales visant d’anciens directeurs ou encadrants accusés de violences sexuelles ou physiques. (...)

Pourtant, aucune autorité ne souhaite ni même n’envisage de mettre fin à son contrat d’association.
Docile et complice avec l’enseignement catholique…

Que ce soit pour Bétharram, pour l’Immaculée-Conception, pour Stanislas ou pour les autres établissements mis en cause, la mécanique est identique. Les ministres se font discrets et promettent quelques mesures, quand la droite et l’extrême droite se taisent ou défendent coûte que coûte ces institutions.

Au lieu de questionner le rôle de l’enseignement catholique, l’absence de contrôles et la responsabilité de l’État, la plupart attaquent la presse qui révèle ou des élus, accusés de tout faire pour relancer la « guerre scolaire ». (...)

Les erreurs seraient individuelles, les fautes jamais systémiques et les établissements mis en cause ont le droit à l’erreur. Pas de stigmatisation, pas de généralisation et cette même règle : les subventions sont maintenues et les contrats d’association jamais rompus.

Dans les années 1990, alerté des violences physiques sur plusieurs élèves, François Bayrou a accordé près d’un million de francs à Bétharram en tant que président du conseil général. Avertie des graves dérives au sein du lycée Stanislas, Valérie Pécresse n’a jamais voulu stopper ses subventions facultatives et a versé 1,5 million d’euros en huit ans en tant que présidente de région. (...)

Depuis plusieurs semaines, les auditions de la commission d’enquête révèlent aussi comment l’Éducation nationale cajole l’enseignement catholique au prix de nombreuses concessions. Et montrent que, devant l’impunité de ces structures, les autorités sont non seulement inertes mais aussi complices.

Depuis six ans par exemple, l’ancien secrétaire général de l’enseignement catholique Philippe Delorme a fait obstacle à la publication par l’Éducation nationale d’un guide censé améliorer les contrôles de ces établissements. Depuis six ans, le ministère, tel un élève devant son professeur, écoute ses doléances, modifie son guide et rend sa copie dans l’espoir qu’il la valide. Philippe Delorme se sent libre de tout refuser, ose écrire au ministère pour dénoncer ce guide, dont le seul but est de protéger les élèves, et parle même de délation ou de « manuel de l’inquisiteur ».

Ses doléances sont pourtant d’une rare indécence. En pleine affaire Bétharram, Philippe Delorme exigeait que l’État ne puisse ni contrôler les internats des écoles catholiques ni vérifier que l’affichage obligatoire du numéro 119 était bien respecté.

Et que dire du rôle que joue Caroline Pascal, numéro deux de l’Éducation nationale et ancienne patronne de l’inspection générale ? C’est elle qui a supervisé le contrôle de Stanislas et qui s’est exprimée à deux reprises pour minimiser le rapport de ses propres services. C’est aussi elle qui, pour blanchir l’établissement et nier toute homophobie, a menti en dissimulant des témoignages accablants recueillis par ses services. (...)

Et si c’étaient des musulmans ?
Brutal et intransigeant avec l’enseignement musulman

Si Bétharram n’a pas été contrôlé une seule fois en trente ans, l’établissement musulman Averroès situé à Lille l’a été quatorze fois en à peine dix ans. Là, les élus ont retrouvé la voix et couru les plateaux télé pour dénoncer un lycée supposé « séparatiste ». Là, les fautes pointées ne sont plus individuelles mais « systémiques ». (...)

Lors d’une audience tenue en mars devant le tribunal administratif, le rapporteur public a d’ailleurs estimé que la plupart des manquements n’étaient « pas établis » et a balayé l’accusation principale évoquant un manuel islamiste enseigné aux élèves.

Pourtant, dans ce dossier, la ministre de l’Éducation nationale est soudainement bien plus offensive. Avant même le délibéré prévu pour le 23 avril, Élisabeth Borne annonce déjà vouloir faire appel si la justice venait invalider la décision de la préfecture.

À Lyon, le lycée Al-Kindi, 600 élèves, contrôlé à quatre reprises en seulement un an, connaît le même sort (...)

Là, la région Auvergne-Rhône-Alpes n’a pas attendu l’issue judiciaire et a immédiatement suspendu toutes ses subventions. Là, le ministre de l’intérieur s’est exprimé pour saluer cette décision et remercier la préfète et ses services pour « leur travail méticuleux ».

Qu’on ne s’y trompe pas : tous les établissements privés sous contrat en France doivent être contrôlés, avec régularité et intransigeance, tant sur le plan financier que pédagogique, sans oublier le respect de la santé, de la sécurité et l’intégrité physique et affective des élèves.

Mais selon que vous serez catholique ou musulman, le traitement de votre établissement sera donc parfaitement différent. (...)

Cette obsession vaut pour la dizaine d’établissements musulmans sous contrat avec l’État mais aussi pour les autres, les établissements musulmans hors contrat. L’école Valeurs et réussite, à Valence (Drôme), a été accusée à tort d’être proche des Frères musulmans et a été empêchée de passer sous contrat avec l’État. Le lycée MHS à Paris a été fermé malgré un dossier totalement vide et des rapports d’inspection très élogieux.

Devant la commission d’enquête parlementaire, mercredi 9 avril, la préfète du Rhône Fabienne Buccio a assumé, pour le contrôle du lycée Al-Kindi, « complètement, à partir du moment où on a eu un signalement, que les services y soient allés de manière groupée », et assure que sa décision serait la même pour un autre établissement privé sous contrat.

Son homologue dans le Nord, Georges-François Leclerc, a, lui, expliqué que les multiples contrôles dirigés vers Averroès étaient bien de son initiative. Et que malgré les mises en garde de la direction des affaires juridiques de l’Éducation nationale sur la « fragilité » de certains éléments, il avait privilégié les analyses de l’intérieur et celles de la chambre régionale des comptes, y compris sur des aspects pédagogiques.

Insistant sur la « réitération » et la « gravité » des faits reprochés, aucun des deux n’a répondu sur l’absence d’une quelconque mise en demeure de ces deux établissements avant que ne s’abatte le couperet de la rupture du contrat d’association. Pourtant, cette procédure est recommandée par le ministère de l’éducation et a été appliquée dans le cas de Stanislas, par exemple. (...)

cette différence de traitement ne tient sans doute pas du hasard et l’énergie déployée par les institutions pour traiter différemment les deux enseignements est désormais factuelle et documentée. « Le bazooka », l’État le réserve bel et bien uniquement aux établissements musulmans.