
La commission a auditionné jeudi le gendarme et le juge qui ont tenté dès 1998 d’enquêter, malgré les entraves, sur des viols commis par un prêtre de l’établissement. Ils ont livré de nombreux détails sur le rôle de François Bayrou, lequel avait pourtant assuré qu’il n’était au courant de rien.
Ton posé, langage précis, émotion contenue, le gendarme Hontangs n’a pas eu besoin de se payer de mots pour livrer un témoignage fracassant, jeudi 10 avril. Auditionné à l’Assemblée nationale, l’ancien officier de police judiciaire est revenu devant la commission d’enquête née de l’affaire Bétharram sur le rôle joué par François Bayrou dans les investigations qui visaient, en 1998, un ancien directeur de cet établissement catholique accusé de viols.
Alain Hontangs avait déjà raconté, sur TF1 puis auprès de Mediapart, comment le juge d’instruction chargé de cette enquête, Christian Mirande, lui avait fait part d’une intervention de l’actuel premier ministre, qui était à l’époque député et président du conseil général des Pyrénées-Atlantiques, dans la conduite de cette information judiciaire. Mais cette fois-ci, les déclarations ont été réitérées sous serment, le gendarme fournissant en plus à la commission de nouveaux éléments permettant de crédibiliser son récit.
Au cours de son audition, l’enquêteur a par exemple lu le SMS que lui a adressé l’un de ses anciens collègues, appuyant ses souvenirs. « J’étais au courant [de l’intervention], M. Mirande me l’a confirmé à l’époque », lui a indiqué l’adjudant-chef Robert Matrassou – aujourd’hui à la retraite – en février, à la suite des premières déclarations publiques d’Alain Hontangs sur le traitement particulier de ce dossier. (...)
L’enquête en question, dont le gendarme garde un souvenir aigu tant elle a marqué sa carrière, visait un ancien directeur de Bétharram, le père Carricart, qui fut remis en liberté dans des conditions troublantes, le 9 juin 1998, une dizaine de jours après sa mise en examen pour viols sur un ancien élève de l’établissement. Deux ans plus tard, le religieux s’est suicidé à Rome où il avait pris refuge, alors qu’il venait d’être mis en cause par un autre de ses anciens élèves.
Affecté à la section de recherches de Pau, Alain Hontangs avait auditionné le père Carricart pendant trente-six heures en garde à vue avant de l’accompagner au tribunal pour qu’il soit présenté au juge d’instruction, le 28 mai 1998. « Christian Mirande m’attendait devant la porte de son bureau. Il m’a dit : “La présentation est retardée, le procureur général veut voir le dossier. Il y a eu une intervention de M. Bayrou.” Point », a relaté avec rigueur le gendarme devant la commission d’enquête. Relancé par les rapporteurs Violette Spillebout (Renaissance) et Paul Vannier (La France insoumise), l’enquêteur chevronné a fait part de sa « surprise ». « Jamais » auparavant il n’avait été confronté à une demande de ce type. (...)
Le juge a aussi affirmé qu’il se souvenait « bien » de la demande qui lui avait été faite de retarder la présentation du mis en cause, expliquant lui aussi avoir été « un peu surpris » par cette requête. « C’était la première fois que cela arrivait. »
Une rencontre pas fortuite « du tout »
D’après lui, le « statut social du père Carricart », qui « avait une position sociale connue parmi les notabilités du coin », a pu expliquer ce traitement si particulier. L’ancien directeur de Bétharram était notamment défendu par un comité de soutien dirigé par l’avocat Serge Legrand, ténor du barreau palois et fervent défenseur de l’établissement catholique. Serge Legrand était aussi engagé à l’UDF, le parti de François Bayrou, dont il était un proche. Dans ce contexte politiquement exposé, « on pouvait craindre des interférences entre différents notables, voire avec M. Bayrou », selon le magistrat. (...)
Le rôle de l’actuel premier ministre, dont l’épouse travaillait à Bétharram, établissement où plusieurs de leurs enfants ont été scolarisés, ne s’est pas limité pas à cet épisode. (...)
Soucieux pour l’un de ses fils alors scolarisé à Bétharram, pour lequel il manifestait une « grande inquiétude » d’après le juge, François Bayrou, qui présidait alors le conseil général (chargé de la protection de l’enfance), ne semblait pas concerné par les autres élèves, d’après son souvenir. « Il ne m’a parlé que de son fils, il n’arrivait pas à croire à la réalité de ces faits. Il répétait, je m’en souviens bien : “C’est incroyable, c’est incroyable” », a rapporté Christian Mirande.
« Justice fiction »
Marqué par l’affaire, le retraité est revenu sur les charges « ignobles » qui reposaient sur le directeur Carricart – notamment soupçonné d’avoir violé un interne qui venait d’apprendre la mort de son père –, sur la solidité du dossier. Mais aussi sur le moment où il a appris que le religieux allait quitter la maison d’arrêt de Pau quelques jours seulement après sa mise en examen.
La décision a été prise par la chambre d’accusation de Pau, après des réquisitions de remise en liberté du parquet général. « J’ai été révolté par cette nouvelle. À aucun moment, on n’aurait pu penser qu’une remise en liberté pouvait intervenir », a-t-il témoigné.
D’après le magistrat, l’exfiltration du prêtre à Rome a ensuite empêché « la possibilité d’investigations complémentaires » (...)
« C’est un dossier qui me laisse beaucoup d’amertume, a-t-il ressassé. La gestion de cette affaire par la justice a été désastreuse. »
À l’entendre, la frustration dépasse le seul cas de ce religieux. (...)
Jeudi soir, dans un entretien au journal La Croix, la ministre de l’éducation nationale Élisabeth Borne annonce enfin « diligenter une enquête administrative de l’Inspection générale » sur le groupe scolaire de Bétharram. Son premier ministre François Bayrou, lui, sera entendu par la commission le 14 mai.
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