Invention de l’« écoterrorisme », mise en cause de la Ligue des droits de l’Homme, mensonges sur le maintien de l’ordre… La manifestation de Sainte-Soline avait représenté l’acmé de la stratégie de tension élaborée par Gérald Darmanin au ministère de l’intérieur. Celle-ci lui revient désormais en pleine figure. « Je ne lis pas Mediapart et Libération tous les matins et tous les jours, mais je le ferai, bien évidemment », a-t-il balayé à notre micro. (...)
quoi qu’il advienne par la suite, Gérald Darmanin le répète : il soutient totalement les forces de l’ordre, à commencer par les gendarmes « qui étaient en première ligne dans cette opération » et « ont fait face à un déferlement de violence inédite ». « Évidemment, a-t-il pris soin de préciser, tout cela doit se faire dans le cadre de la déontologie et dans l’utilisation légitime de la force. C’est le principe et l’honneur des policiers et des gendarmes. » Ce discours est ancien. Et il n’a jamais varié. Il est le fruit d’un récit politique patiemment installé par l’ancien ministre de l’intérieur lorsqu’il était en poste place Beauvau. (...)
Fin octobre 2002, plusieurs mois avant la manifestation du 25 mars 2023, Gérald Darmanin parle pour la première fois d’« écoterrorisme » pour qualifier les « modes opératoires » des manifestant·es mobilisé·es quelques jours plus tôt à Sainte-Soline, déjà. (...)
Et le ministre ne s’arrête pas là. La veille de la manifestation du 25 mars 2023, il s’invite sur la chaîne d’extrême droite CNews pour annoncer que 3 200 gendarmes et policiers seraient mobilisés dans les Deux-Sèvres afin d’encadrer les mobilisations. Sans se départir de son discours guerrier, il anticipe une manifestation « très violente ». « Nous verrons des images extrêmement dures », prévient-il d’emblée avant d’accuser les manifestant·es : « Parce qu’il y a une très grande mobilisation de l’extrême gauche et de ceux qui veulent s’en prendre aux gendarmes et peut-être tuer des gendarmes et tuer les institutions. »
Une semaine plus tard, c’est dans un autre média de Vincent Bolloré que Gérald Darmanin assure le service après-vente de l’action des forces de l’ordre. Alors que les groupes d’extrême droite multiplient les actions sans le moindre commentaire de sa part, il s’en prend à un prétendu « terrorisme intellectuel de l’extrême gauche qui consiste, selon lui, à renverser les valeurs ». « Les casseurs deviendraient les agressés, et les policiers les agresseurs », ose-t-il dans les colonnes du Journal du Dimanche, en promettant que « plus aucune ZAD ne s’installera dans notre pays ».
Le même récit, répété inlassablement
Avec le temps, et malgré les dénonciations venant de toutes parts, Gérald Darmanin se montre inflexible. Dans chaque intervention, il adopte la même posture, visant à encadrer la discussion autour du comportement des protestataires, pour mieux éviter tout questionnement sur les consignes données aux gendarmes. Interpellé dès le mardi 28 mars à l’Assemblée nationale, lors des questions au gouvernement, le ministre de l’intérieur annonce qu’il va engager la dissolution du collectif Les Soulèvements de la terre (SLT), l’un des organisateurs des cortèges contre les mégabassines. (...)
Le 3 avril, devant la commission des lois du Sénat, le ministre de l’intérieur s’appuie sur un PowerPoint et des vidéos censés renforcer son propos. « Ma présentation a pour objet de vous montrer que le problème n’a rien à voir avec le maintien de l’ordre, mais qu’il concerne l’ultragauche. Ce n’est pas un problème policier de maintien de l’ordre qui se pose, mais c’est un problème de violence urbaine, de guérilla, qui n’a rien à voir avec le maintien de l’ordre classique », explique-t-il aux sénateurs et sénatrices, en mêlant les mobilisations contre la réforme des retraites et celles contre les mégabassines.
Lors de la même audition, il se fait plus précis encore en déclarant « qu’il ne faut pas améliorer le maintien de l’ordre, exercice ingrat et difficile, mais que nous traversons un moment particulier de violence, né à partir du 16 mars, au moment où l’ultragauche décide de prendre en otage le mouvement social et d’accentuer les exactions, notamment pour l’écologie radicale, comme à Sainte-Soline ». (...)
Dès le 30 mars, le rapporteur spécial des Nations unies sur les défenseurs de l’environnement, Michel Forst, avait publiquement réagi aux images de la manifestation qui s’était tenue cinq jours plus tôt, exprimant dans Le Monde sa « préoccupation » quant à l’attitude des autorités. Celui qui a aussi été rapporteur spécial sur les défenseurs des droits de l’homme revenait alors sur le choix d’interdire la mobilisation et sur les effets produits par cette décision. (...)
La LDH attaquée par le ministre
Au même moment, La Ligue des droits de l’Homme (LDH), qui avait déployé des observateurs à Sainte-Soline, dénonce les mensonges de Gérald Darmanin sur les tirs de LBD de gendarmes depuis des quads ou sur l’intervention des secours. Devant le Sénat, le ministère de l’intérieur réagit par la menace : « Je ne connais pas les subventions accordées par l’État à cette organisation, mais cela mérite d’être étudié, au regard des actions qu’elle a menées, dit-il, choquant jusqu’à ses propres troupes. Je rappelle néanmoins qu’elle est également financée par beaucoup de collectivités locales, que vous représentez. » (...)
Le discours de Gérald Darmanin sur Sainte-Soline n’a jamais changé depuis. (...)
« Je pense, quant à moi, que ce ne sont évidemment pas les forces de l’ordre, qui n’ont eu recours à la violence que d’une manière légitime et proportionnée. »
Ce discours vole en éclats deux ans plus tard avec la diffusion des images tournées par les caméras-piétons des gendarmes mobilisés sur la manifestation. Ces films, révélés par Mediapart et Libération, ont contraint le successeur de Gérald Darmanin place Beauvau, Laurent Nuñez, à dénoncer du bout des lèvres jeudi 6 novembre sur France Inter les « propos » et « gestes » de militaires à Sainte-Soline. Une déclaration a minima qui représente tout de même un camouflet pour l’actuel ministre de la justice.