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Véronique, mère de Rémi Fraisse : « L’État n’a pas tiré de leçons de la mort de mon fils »
#Sivens #RemiFraisse
Article mis en ligne le 20 octobre 2024
dernière modification le 18 octobre 2024

Dix ans après la mort de Rémi Fraisse et trois ans après la décision de non-lieu, sa mère, Véronique, a décidé de s’exprimer, mais en gardant l’anonymat. Son fil rouge : la quête de vérité. Sans fioritures, elle fonde toutes ses déclarations et interrogations sur les éléments des enquêtes et des rapports qui forment l’épais dossier « Rémi Fraisse ».

(...) Le 26 octobre, dès 10 heures, à la Maison de la forêt de Sivens, à Lisle-sur-Tarn (81), sera commémorée la mort de Rémi Fraisse. Le matin sera consacré à un atelier chant et à une « balade mémorielle et naturaliste ». L’après-midi, une marche sera organisée sur le lieu de résistance au barrage, avec une chaîne humaine le long de l’ancienne ZAD et plusieurs témoignages (...)

Saviez-vous qu’il se rendait à Sivens ce jour-là et connaissiez-vous la situation sur place ?

Même si on habitait la région toulousaine, on n’avait jamais entendu parler de la lutte contre le barrage avant. Je connaissais celle de Notre-Dame-des-Landes, mais sans plus. J’étais loin d’imaginer qu’on pouvait tuer des gens ainsi. Ce jour-là, un de ses amis voulait s’y rendre, mais n’avait pas de véhicule. Rémi a décidé d’y aller, de l’emmener ainsi que d’autres amis, car l’événement était annoncé festif avec des concerts. Dans l’après-midi, il est passé à la maison avec eux pour récupérer un blouson et un duvet. Ils ont assisté à des débats et aux concerts (...)

À la fin, ils ont entendu des bruits qui ont attiré leur attention. Est-ce qu’ils ont compris que c’étaient des affrontements ? Je n’en sais rien. Un grand nombre de personnes ont décidé de se rapprocher. La suite de l’histoire, vous la connaissez. Rémi n’était ni manifestant, ni zadiste, ni activiste. Oui, il avait une conscience écologique. Et peut-être que s’il avait assisté ce jour-là à de tels événements et que quelqu’un était mort, il serait devenu militant.

Pourquoi témoignez-vous aujourd’hui ?

Dix ans après, il me semblait important de témoigner des mensonges d’État qui ont suivi la mort de Rémi et de la façon dont a été traité le dossier. Mais aussi pour permettre aux gens de poser un autre regard sur les événements actuels qui se déroulent dans les manifestations contre les mégabassines ou sur la mobilisation contre l’A69. J’ai lu le dernier rapport de la commission d’enquête sur les atteintes au droit lors des opérations de police et de gendarmerie sur l’A69. C’est assez consternant.

L’histoire se répète. L’État n’a pas tiré de leçons de la mort de Rémi. Le mode opératoire, les outils de communication sont toujours les mêmes. Dès qu’il y a un blessé ou un mort, ils cherchent à créer de la confusion, de l’ambiguïté, en mentant sur le déroulé des événements, en criminalisant la victime, voire la famille, pour les transformer en coupables et ainsi tenter de justifier la violence d’État. (...)

Des journalistes du Monde ont rapidement révélé des enregistrements de dialogue entre les gendarmes qui disaient : « Il est mort, le mec, il ne faut pas que ça se sache. » Rémi était bien mort devant eux, loin de la forêt, et ils le savaient depuis le début. Ils ne voulaient pas que ça se sache. Le deuxième mensonge était de faire croire que Rémi avait un cocktail Molotov dans son sac à dos, qui aurait malencontreusement explosé. (...)

Ils ont aussi dit que les zadistes avaient volé son sac à dos, donc ils ne pouvaient rien vérifier. Or, quand on a lu le dossier, on a découvert que le sac à dos faisait partie des pièces à conviction, donc il n’a pas été volé, il a bien été récupéré par les gendarmes, qui savaient d’entrée qu’il n’y avait pas de traces de cocktail Molotov. Leur discours a changé quand il a été annoncé que des traces de TNT avaient été retrouvées sur le corps. À partir de là, ils se sont retrouvés un peu acculés face à la vérité (...)

Les heures qui ont suivi la mort de Rémi ont servi à tenter de l’incriminer, lui et ses proches. Pourquoi ces mensonges et cette mise en scène en haut lieu, sinon pour cacher leurs responsabilités dans sa mort ? Ils ont su à la minute où il est mort qu’ils l’avaient tué. (...)

Un non-lieu, ça veut dire qu’il ne s’est rien passé, que ça n’a pas eu lieu. On nous a parlé d’accident, de « pas de chance ». Il est donc possible pour des gendarmes de tuer un jeune homme de 21 ans sans être inquiétés et sans qu’il n’y ait de procès. Ce non-lieu n’est-il pas un feu vert donné aux forces de l’ordre ? Concernant la procédure administrative, la cour d’appel administrative de Toulouse a confirmé en 2023 la responsabilité de l’État, mais seulement à 80 %. (...)

Ce jugement dit que Rémi est responsable à 20 % d’imprudence fautive, car il s’est « délibérément rendu sur les lieux d’affrontements ». Mon fils est donc reconnu fautif d’imprudence pour avoir secouru un blessé au sol, l’avoir mis à l’abri et être revenu les bras en l’air en direction des gendarmes en signe d’apaisement. (...)

Sur l’A69, quand j’ai su que les forces de l’ordre faisaient tomber les gens des arbres, ça m’a atterrée. Je me suis dit « ça recommence, ce n’est pas réel ». Les gouvernements changent mais, sur le terrain, la gestion de ces événements ne change pas. Il faut qu’ils laissent les gens manifester. Le droit de manifester existe. (...)

Dix ans après, ne pouvant revenir en arrière et changer l’événement, je me dis que je suis vraiment fière de mon gamin qui a voulu aider son prochain même dans ces conditions.