
Six mois après la mort d’un cycliste à Paris, écrasé intentionnellement par un conducteur de SUV, le rapport commandé par le ministère des transports fait quarante propositions pour améliorer la cohabitation entre les différents types d’usagers de la route.
Commandé au lendemain de la mort de Paul Varry, ce cycliste écrasé délibérément par un conducteur de SUV en plein Paris, le rapport d’Emmanuel Barbe, ancien délégué interministériel à la sécurité routière, publié lundi 28 avril, devait faire des propositions pour un meilleur « partage de la route ».
Alors que les nouvelles mobilités (vélos, trottinettes…) se sont fortement développées ces dernières années, venant concurrencer l’espace de la voiture en ville, le rapport fait une quarantaine de propositions pour rendre cette cohabitation moins conflictuelle. Et pour continuer d’encourager ces pratiques écologiques et bonnes pour la santé. (...)
Alors que « 53 % des déplacements domicile-travail effectués en voiture sont inférieurs à deux kilomètres », le potentiel de développement de ces mobilités alternatives reste énorme. (...)
La dangerosité perçue de ce moyen de transport demeure un frein important. Les cyclistes représentent 7 % des 3 190 personnes décédées dans un accident de la circulation en 2024. Les victimes sont majoritairement des hommes, plutôt âgés et hors agglomération.
Les associations auditionnées par le rapporteur décrivent une augmentation des « violences motorisées » à l’égard des cyclistes, qui résultent selon elles d’un « cadre qui tolère encore trop souvent des comportements agressifs, menaçants ou dangereux au quotidien sur les routes ». Des réactions qui « sont aussi le fruit de décennies d’aménagements routiers dangereux, dont la conception influence directement la sécurité et les comportements des usagers ».
Le poids des représentations
Le rapport préconise que ces violences soient désormais intégrées dans l’enquête dite de « victimation », du service statistique ministériel de sécurité intérieure (SSMSI).
Le texte souligne néanmoins que les tensions sont généralisées dans le partage de la voirie puisque les piétons, eux, concentrent leurs récriminations sur les cyclistes plus encore que sur les automobilistes.
L’un des intérêts du rapport est de revenir sur la dimension culturelle très forte de ces conflits d’usage. Ainsi, le fait de « percevoir le véhicule comme une extension de sa personne (“je suis garé là”) » explique la réaction agressive engendrée par la perception d’une menace contre son véhicule. On y apprend aussi le « lien entre le nombre de stickers ou de marqueurs identifiant le territoire d’origine sur la voiture et la probabilité de la survenue d’un épisode de “rage de la route” ».
Avec un imaginaire automobile construit autour des notions de « liberté individuelle, de puissance, d’émancipation », nourri par une imagerie publicitaire présentant un conducteur ou une conductrice seule dans un paysage bucolique, le partage de la route avec les cyclistes est naturellement vécu comme une entrave. (...)
L’agressivité de certains automobilistes contre les cyclistes « bobos » des villes n’est pas sans fondements sociologiques. « Cette vision du conflit des mobilités comme une “lutte des classes larvée” remonte aux années 2000. Elle reflète, en la caricaturant, une dynamique réelle : le retour du vélo dans les grandes villes à partir des années 1990 s’est en effet traduit par une “inversion des pratiques entre cols-bleus et blancs” (en Île-de-France, les cadres sont passés de 1 % des usagers du vélo en 1976 à 22 % en 2010) », pointe le rapport.
Ainsi, « la fréquence d’utilisation du vélo tend à augmenter avec le revenu mensuel du foyer, le recours à l’automobile pour les déplacements domicile-travail est beaucoup plus présent chez les ouvriers qualifiés que chez les cadres », ces derniers habitant toujours plus en centre-ville qu’en périphérie.
Les biais de genre sont aussi très importants, avec des hommes responsables de 83 % des accidents mortels sur la route en 2023. Mais des hommes qui continuent de toujours mieux réussir l’épreuve du permis de conduire, les femmes étant pénalisées par leur plus grande « aversion au risque » (...)
Un cadre légal inégalement respecté
Le sentiment très largement partagé que les cyclistes s’affranchissent du respect du Code de la route (feux rouges grillés, rue prise à contresens, etc.) sans être verbalisés accroît aussi le ressentiment des automobilistes, admet le rapporteur au terme de ses six mois d’auditions. (...)
Enfin, le manque d’infrastructures sécurisées est bien identifié comme un frein essentiel au développement du vélo. À cet égard, le rapport préconise de remettre les crédits supprimés au plan vélo (...)
Le rapporteur insiste aussi sur le fait que l’État ne s’est jamais beaucoup attaché à faire respecter les obligations légales de création d’itinéraires cyclables en vigueur depuis 1998. (...)
Pour créer un environnement plus favorable au vélo, le rapport préconise de créer des « zones 30 » dans chaque agglomération tant la limitation de la vitesse en ville a prouvé son efficacité en matière de réduction des accidents, mais aussi du bruit et de la pollution en ville. (...)
Lire aussi :
– (Ecologie . gouv . fr/communiqué)
Remise du rapport d’Emmanuel Barbe « Prévenir les violences et apaiser les tensions pour mieux partager la voie publique »
Ce lundi 25 avril, Emmanuel BARBE, inspecteur général de l’administration, a remis son rapport sur le partage de la voie publique à Philippe TABAROT, ministre des Transports, en présence de Florence Guillaume, déléguée interministérielle à la sécurité routière et d’associations d’usagers du vélo. Les recommandations de ce rapport vont désormais faire l’objet d’un travail interministériel, associant notamment le ministère des Transports et le ministère de l’Intérieur, pour définir les modalités de leur mise en œuvre.
Le décès tragique de Paul Varry, le 15 octobre 2024 à Paris, a suscité une vive émotion dans notre pays et a provoqué une prise de conscience collective sur la question des violences entre usagers de la route.
Suite à ce drame, Emmanuel BARBE, inspecteur général de l’administration et ancien délégué interministériel à la Sécurité routière, a été chargé par le Gouvernement d’une mission relative à la question du partage de la route et des violences et tensions qu’il peut entraîner. Après 6 mois de travail conduit avec l’appui de l’inspection générale de l’environnement et du développement durable (IGEDD), et de l’inspection générale de l’administration (IGA), Emmanuel BARBE a remis ce jour les conclusions de sa mission à Philippe TABAROT, ministre des Transports, en présence de Florence Guillaume, déléguée interministérielle à la sécurité routière, de la FUB, Réseau vélo et marche, Paris en Selle, Fédération Française du Cyclotourisme et de la Fédération Française de Cyclisme.
Le rapport formule 40 recommandations, dont 18 sont jugées prioritaires. Elles portent notamment sur :
La formation et l’information : le rapport suggère d’évaluer des dispositifs d’apprentissage de la sécurité routière et du vélo, notamment le savoir rouler à vélo (SRAV)) de la maternelle au lycée. Il propose également de rendre les formations à l’apprentissage du vélo ou à la remise en selle éligibles au Compte Personnel de Formation (CPF). Le rapport suggère de distribuer des QR code permettant d’accéder à la présentation des principales évolutions de la réglementation tant à l’issue des stages de sensibilisation à la sécurité routière que lors de l’achat d’un vélo.
Les conditions et règles de circulation : Le rapport recommande de rendre obligatoire la définition d’au moins une zone 30 dans chaque agglomération et de modifier la règle du dépassement en prévoyant que, sur une route disposant d’au moins deux voies, bidirectionnelle ou non, le véhicule à moteur doit franchir complètement la ligne médiane avec les quatre roues pour dépasser les cyclistes
L’examen du permis de conduire et sa préparation : Le rapport suggère de réexaminer, dans l’examen théorique général du permis de conduire, la pondération des questions relatives au partage de la voirie et à l’empathie, afin de vérifier qu’elles y occupent une place suffisante. Il suggère également d’expertiser l’utilité et la possibilité, par le biais d’une bicyclette fixe, de faire mesurer aux futurs candidats au permis de conduire, ce que ressent un cycliste lorsqu’il est dépassé par un véhicule. Il invite enfin à rendre obligatoire, dans l’épreuve du permis, la démonstration par le candidat qu’il sait ouvrir la portière du véhicule avec la main opposée.
La voirie et les aménagements cyclables : Le rapport suggère de rappeler l’obligation faite aux collectivités de mettre au point des itinéraires cyclables lors de l’élaboration des documents de planification (PLU, schémas de cohérence territoriale etc.) et d’introduire dans le Code de l’environnement une obligation de mettre au point un aménagement cyclable en cas de création ou de rénovation d’une voie interurbaine, en permettant, le cas échéant, au gestionnaire de prévoir des itinéraires alternatifs ou de prendre en compte ceux qui existent. Il recommande également, avec l’appui du Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (CEREMA), et en concertation avec des experts et usagers, d’établir des normes visant à harmoniser la conception des aménagements cyclables.
La verbalisation des infractions : Dans le but de verbaliser davantage les cyclistes, le rapport suggère de créer des infractions qui leur sont spécifiques aboutissant à minorer le montant de l’amende encourue pour certaines contraventions au code de la route. Il recommande également de compléter la liste des infractions pouvant donner lieu à vidéoverbalisation et mettre en chantier les modifications législatives nécessaires pour l’utilisation de la vidéoverbalisation augmentée aux fins de verbalisation.
La publicité autour des véhicules : Le rapport recommande de saisir l’autorité de régulation des professionnels de la publicité (ARPP) pour garantir la présence d’un contexte d’usage de la voiture plus représentatif des conditions réelles d’utilisation et notamment de la nécessaire présence et cohabitation de différents usagers de la route
L’équipement des véhicules : Le rapport suggère d’engager des discussions au sein de l’Union européenne en vue d’introduire l’obligation que tout véhicule léger neuf soit équipé d’une sonnette piétonne de courtoisie et d’expertiser la possibilité d’équiper les autobus de caméras permettant de photographier ou de filmer un usage interdit des voies d’autobus, afin de les transmettre à la police pour verbalisation éventuelle.
La signalisation volontaire des cyclistes : Le rapport suggère d’étudier la faisabilité, en lien avec leur propriétaire, d’utiliser les applications de guidage pour partager en temps réel la position des cyclistes le souhaitant.
Le Gouvernement étudiera attentivement les mesures proposées par ce rapport. Un travail interministériel, associant notamment le ministère des Transports et le ministère de l’Intérieur, sera initié pour examiner précisément ces recommandations et définir les modalités de leur mise en œuvre.