
L’administration états-unienne a lancé une vague de répression contre les étudiants étrangers qui se sont mobilisés pour la Palestine, multipliant les arrestations en vue de les expulser. Leurs avocats dénoncent des atteintes graves à la liberté d’expression.l
La vidéo est glaçante. Elle montre une arrestation en pleine rue. On se dit qu’elle a eu lieu au Bélarus ou en Russie, sous un régime autoritaire. Elle s’est pourtant produite à Somerville, près de Boston (Massachusetts), dans les États-Unis gouvernés par Donald Trump.
Les images qui ont circulé sur les réseaux sociaux proviennent d’une caméra de vidéosurveillance mais aussi d’un téléphone portable d’un voisin. On y voit une trentenaire de nationalité turque, Rumeysa Öztürk, être appréhendée, mardi 25 mars, en pleine rue, par des agent·es des services de contrôle de l’immigration (ICE, Immigration and Customs Enforcement, une agence du département de la sécurité intérieure), avant d’être menottée puis poussée dans un SUV, en direction d’un centre de détention. Sans aucune explication. (...)
Rien ne permet de dire que ce sont des fonctionnaires de police, car les personnes qui encadrent la jeune femme voilée, qui se rendait à un centre interconfessionnel pour la rupture du jeûne du ramadan, sont habillées en civil. Beaucoup ont le visage caché par un cache-col. Lorsqu’un premier agent l’aborde, l’étudiante de l’université Tufts pousse un cri de frayeur, avant qu’il ne lance : « Nous sommes de la police. »
Son avocate, Mahsa Khanbabai, a dénoncé un kidnapping. (...)
: « Cette vidéo devrait ébranler tout le monde. » Sa cliente, explique-t-elle, est une étudiante boursière, « diplômée résidant dans le Massachusetts avec un visa d’étudiante en cours de validité ».
« Rumeysa, comme nous tous en Amérique, a le droit d’exprimer librement ses opinions, dit son avocate. Aujourd’hui, elle est illégalement ciblée par l’administration Trump, simplement parce qu’elle a coécrit une tribune appelant à ce que les Palestiniens aient des droits humains fondamentaux. » Dans ce texte, publié en mars 2024 par The Tufts Daily, le journal de l’université, les signataires appelaient notamment l’établissement à « reconnaître le génocide palestinien » et à « retirer ses investissements des entreprises ayant des liens directs ou indirects avec Israël ». « Il semble que la seule chose pour laquelle Rumeysa est visée soit son droit à la liberté d’expression », dénonce Mahsa Khanbabai. (...)
Pour Elizabeth Warren, sénatrice démocrate du Massachusetts, la détention de Rumeysa Öztürk est la « dernière en date d’un schéma alarmant visant à étouffer les libertés civiles ». « L’administration Trump cible les étudiants ayant un statut légal et arrache des personnes à leur communauté sans procédure régulière. Il s’agit d’une attaque contre notre Constitution et nos libertés fondamentales – et nous allons riposter », a-t-elle déclaré. (...)
Le même jour, un juge fédéral a ordonné à l’administration Trump de mettre fin à ses efforts pour expulser et arrêter une autre étudiante de Columbia, Yunseo Chung. Cette jeune femme de 21 ans, originaire de Corée du Sud, est arrivée aux États-Unis alors qu’elle était une enfant et dispose d’une résidence permanente légale. Elle se cache désormais pour éviter son arrestation.
Saisie par Yunseo Chung, qui dénonce le fait que le gouvernement « tente d’utiliser les réglementations de l’immigration comme une matraque pour réprimer les discours qu’il n’apprécie pas », la juge Naomi Reice Buchwald a estimé que les accusations à son égard n’étaient pas suffisamment étayées, lui accordant une protection temporaire et interdisant également au gouvernement de la transférer hors de New York. « Pas de voyage en Louisiane ici », a déclaré la juge, selon le New York Times.
Momodou Tala, doctorant à l’université Cornell (un des huit prestigieux établissements de l’Ivy League), qui possède la double nationalité gambienne et britannique, s’est joint à une plainte collective contre l’administration Trump après avoir été convoqué par l’ICE. Quelques jours plus tard, le ministère de la justice a annoncé que son visa d’étudiant avait été révoqué par le département d’État, en raison de « manifestations perturbatrices » et de la « création d’un environnement hostile pour les étudiants juifs », selon The Intercept. Dans leur plainte, souligne le site, les plaignants déclarent que « le premier amendement protège les personnes et pas seulement les citoyens. Cela inclut les non-citoyens [états-uniens - ndlr] vivant aux États-Unis ».
Touristes, migrants, résidents : tous visés (...)
Cette vague de répression touche également les migrant·es sans papiers, cette fois souvent sous le prétexte de lutter contre les organisations criminelles, mais aussi des touristes ou des résident·es qui n’ont rien à voir avec la mobilisation anti-israélienne ou les gangs latino-américains.
Des témoignages d’étrangères et d’étrangers, soit des résident·es pensant être en règle, soit des touristes, arrêté·es au passage de la frontière et envoyé·es dans des centres de détention privés par l’ICE, se multiplient. (...)
« Ces centres sont privés et gérés dans un but lucratif. Des entreprises comme CoreCivic et GEO Group reçoivent des financements gouvernementaux en fonction du nombre de personnes détenues, ce qui explique pourquoi elles militent pour des politiques d’immigration plus strictes. C’est un business lucratif : CoreCivic a engrangé plus de 560 millions de dollars [près de 520 millions d’euros – ndlr] grâce aux contrats ICE en une seule année. En 2024, GEO Group a engrangé plus de 763 millions de dollars grâce à ces contrats. Plus il y a de détenus, plus ils gagnent d’argent. Il va de soi que ces entreprises n’ont aucun intérêt à libérer les gens rapidement. » (...)
Plus personne ne semble à l’abri, ce qui suscite des craintes à l’étranger. Plusieurs pays européens, parmi lesquels l’Allemagne, la Grande-Bretagne, le Danemark et la Finlande, ont émis des recommandations de prudence à l’attention de leurs ressortissant·es voulant se rendre aux États-Unis (...)