
Partager terres agricoles et bâtiments pour permettre à d’autres de s’installer, c’est le choix d’un couple de paysans dans la Loire. En 20 ans, sur leurs 70 hectares, ils sont passés de 1 à 3 fermes où huit personnes travaillent et vivent bien.
(...) « Ce qui a motivé la reconversion, c’est qu’on vendait le lait à la laiterie et que c’était elle qui fixait le prix. Notre envie, c’était de maîtriser le produit et d’aller jusqu’au produit fini », souligne Anne. Le projet mûrit tranquillement et tend vers la viticulture. À partir de 2003, de nouvelles vignes sont progressivement plantées. « Le vin permet d’optimiser la valeur ajoutée à l’hectare. On a pu faire ce changement car on avait fini d’amortir l’outil : on n’était plus pieds et poings liés avec les banques. »
Autonomie, un maître mot
« Cette autonomie financière a permis de préserver notre autonomie décisionnelle » poursuit Anne. Avec Pierre-André, ils font le choix d’un certain type de viticulture : ils décident de limiter la surface de plantations à 8 hectares, afin d’être sur une approche très qualitative avec d’anciens cépages locaux. « On a aussi fait le choix d’investissements progressifs et calibrés », poursuit la vigneronne. Ils construisent ainsi un bâtiment dédié à la vinification dix ans après la plantation des vignes. (...)
« Plutôt que de tout mécaniser, on a aussi fait le choix d’employer du monde » complète Anne. Deux salariés et demi travaillent aujourd’hui avec le couple. Ils vendent entre 30 000 et 35 000 bouteilles par an, dont la moitié en vente directe. « Notre reconversion a permis de libérer du foncier qu’on a décidé de partager pour favoriser la ’’multiplication de paysan·nes’’. » C’est là que Philippe Chorier, éleveur, entre en scène. (...)
Mutualiser pour éviter l’endettement (...)
Le souci de la mutualisation pour être autonome le conduit à s’investir dans la création d’une boucherie en SARL, ainsi que dans un atelier de découpe collectif. « On partage l’outil. Ça permet de mutualiser et d’amortir les coûts sur 10 personnes. Quand on fait face à des factures d’électricité qui grimpent de 600 à 1000 euros, on répartit mieux à plusieurs. »
Au terme de quinze ans d’installation, il se réjouit : « je suis 100 % autonome sur les aliments, et en temps de travail. Mon bâtiment est payé, j’ai moins de pression. » Il y a quelques mois, Philippe a cédé à son tour 2,5 hectares à un jeune, ancien salarié des Déplaude, pour lui permettre de s’installer en viticulture. « Je suis heureux d’avoir contribué à ce qu’il puisse planter des vignes et se lancer. » (...)
Lever le verrou de l’accès à la terre
Mais l’histoire de cette « ferme partagée » ne s’arrête pas là. Stéphane Rouvès, ami des Déplaude, souhaite s’installer comme paysan boulanger en 2012. « Je ne venais pas du monde paysan et l’accès à la terre est un gros verrou. Pierre-André et Anne m’ont parrainé dans ce système agricole en me louant 4,5 hectares, ce qui m’a permis de m’installer », explique t-il.
En tant que paysan boulanger, il sème, récolte, moud, transforme et commercialise en vente directe. « Je maîtrise l’ensemble du processus, confirme t-il. Mais si j’ai pu maîtriser mes investissements au départ, 4 hectares et demi ne suffisaient pas ». Des terrains se libèrent finalement sur la commune où il habite. Il travaille désormais avec sa compagne sur 20 hectares, en agriculture bio. Ensemble, ils produisent pain et pâtes sèches. (...)
En 2024, l’aventure collective se poursuit. « Après l’installation de Philippe en 2008, de Stéphane en 2012, c’est désormais Rémi et Estella qui démarrent leur activité viticole sur une partie des terrains libérés », s’enthousiasme Anne. « On mutualise et on s’entraide quand l’un·e de nous est en période de pointe ou lors des livraisons. C’est l’illustration que "trois petites fermes valent mieux qu’une grande" », un mot d’ordre porté par la Confédération paysanne. Face au défi de l’installation agricole et de la transmission des fermes, l’histoire de cette ferme partagée démontre qu’il est possible d’inventer d’autres modes de coopération.