
Un peu plus d’un mois après le naufrage du 19 mai, Anab, une Somalienne de 26 ans résidant à Angers avec sa famille depuis plus de dix ans, reste sans nouvelles de son fiancé Yahia. La jeune femme raconte les démarches entreprises depuis des semaines, avec sa demi-sœur, pour tenter de retrouver la trace de Yahia et mettre fin à ses tourments.
Yahia a disparu dans le naufrage du dimanche 18 au lundi 19 mai dans la Manche. Ce jour-là, une embarcation surchargée se disloque au large des côtes. Prévenues vers 2h30 du matin, les autorités françaises déploient un bateau de remorquage et un hélicoptère de la marine, tandis que les Britanniques envoient des navires sur zone. Une personne est retrouvée morte noyée. La préfecture maritime de la Manche et de la mer du Nord a confirmé qu’une autre personne est restée portée disparue à la fin de l’opération de recherche qui s’est poursuivie jusqu’au lundi à la mi-journée.
Yahia est le premier disparu recensé en 2025. Les années précédentes, d’après un décompte inédit publié sur Mediapart, 46 exilés ont disparu à l’instar de Yahia sur les côtes françaises entre 2020 et 2024, sans que l’on puisse savoir s’ils ont perdu la vie. Près de un par mois. (...)
Le couple prévoyait de se marier
Depuis cet appel téléphonique, la vie d’Anab reste en suspens. Les deux jeunes gens se connaissaient depuis la Somalie, leur pays d’origine. Anab est arrivée en janvier 2014 en France, directement à Angers. Elle y a rejoint, grâce au regroupement familial, sa demi-sœur Asiya (née de la même mère), ses parents ainsi que trois frères et sœurs, tous arrivés quatre ans plus tôt. Anab avait alors 16 ans.
Adolescente, elle côtoyait déjà Yahia en Somalie. Une fois en France, "on a repris contact via les réseaux sociaux. Lui, il avait trouvé à ce moment-là du travail en Turquie", retrace-t-elle. Les deux jeunes gens tombent amoureux.
Anab est allée le visiter en Turquie : sur leurs selfies pris à ce moment-là, les deux jeunes apparaissent souriants et détendus. Anab et Yahia se sont mariés religieusement en 2023. (...)
À Calais, guidées par Google Maps et de sommaires indications de rescapés, Anab et Asiya cherchent partout : l’hôpital de Calais, la communauté de Somaliens dans les campements, le commissariat de police local, la police aux frontières, la police maritime… "On a marché pendant des heures, j’avais des douleurs partout", raconte Anab, souffrante du pied. Asiya, elle, garde de la colère par rapport à la façon dont elles ont été reçues par les autorités. "Ce n’est pas ce qu’on attendait. On pensait qu’on allait être mieux reçues. C’est le manque d’empathie, en fait… J’ai mis une semaine à m’en remettre."
La Croix-Rouge, via son dispositif de rétablissement des liens familiaux, a ouvert un dossier pour recueillir toute information utile sur cette disparition. Ces démarches intensives ont laissé place à l’attente, et à l’absence. "La famille de mon mari Yahia m’appelle tous les jours. Je leur réponds, mais je ne sais plus quoi leur dire, nous avons déjà tout essayé…", déplore Anab. (...)
"La vie, c’est un cadeau de Dieu. Alors, si on te la reprend, tu pleures trois jours, puis tu acceptes. Mais là, ce qui est choquant et difficile, c’est qu’il n’a pas été sauvé, qu’il n’apparaît nulle part, que personne ne l’a retrouvé", s’attriste Asiya.
"Pourquoi avoir pris ce risque ?"
Le parcours de Yahia aurait pourtant dû se dérouler tout autrement. Après la Turquie, Yahia a traversé l’Europe jusqu’en Allemagne pour y demander l’asile. En attendant l’examen de sa demande, il y a décroché un travail. Le couple s’imaginait alors emménager ensemble le jour où Yahia serait régularisé. Idéalement dans l’est de la France.
Fin avril, Yahia est venu pour passer une semaine avec Anab dans son appartement angevin. Au matin du 3 mai, il lui explique : "Je vais à Paris quelques jours pour aider un ami qui y demande l’asile. Attends-moi, je reviens juste après". Mais Yahia n’est jamais revenu. Anab et Asiya ne comprennent toujours pas pourquoi le jeune homme, qui parlait anglais, a pris la mer deux semaines après. (...)