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Thierry, agriculteur, brise le tabou des pesticides et reçoit des menaces
#pesticides #glyphosate #agriculturebio
Article mis en ligne le 20 novembre 2024
dernière modification le 18 novembre 2024

Le maraîcher bio Thierry Gozzerino alerte sur le danger des pesticides, alors que du glyphosate est encore utilisé dans les canaux d’irrigation de la plaine de la Crau. Il est depuis la cible d’intimidations.

(...) À la tête d’une ferme de 6 hectares à Salon-de-Provence dans la Crau verte, plaine fertile entre la Camargue et l’étang de Berre, le maraîcher produit désormais, avec l’appui de cinq salariés à l’année, une cinquantaine de variétés de légumes par an à destination de 460 familles adhérentes au réseau des Associations pour le maintien d’une agriculture paysanne (Amap). (...)

Sa certification bio en péril

En mai dernier, lors d’un contrôle inopiné de son organisme certicateur Ecocert, une inspectrice a constaté un risque de contamination de ses parcelles « par les ruisseaux », remettant en cause son label bio. « Elle a observé de l’herbe jaunie dans les canaux d’irrigation qui longent les parcelles de mes voisins, des traces caractéristiques de l’utilisation de glyphosate », explique Thierry Gozzerino.

Les prairies alentour étaient alors inondées selon la tradition d’irrigation par submersion pratiquée depuis le XVIe siècle dans la plaine de la Crau. Pour l’organisme Ecocert, le glyphosate des parcelles voisines pourrait bien finir par écoulement naturel dans son forage. « Certains agriculteurs ont vu leur certification sauter pour cela. Je dois faire des analyses complémentaires, mais j’ai peur des résultats », avoue-t-il, l’air grave. (...)

Cela fait plusieurs années que l’agriculteur interpelle ses voisins, les élus locaux et la chambre d’agriculture des Bouches-du-Rhône, photos à l’appui, sur l’utilisation de désherbants chimiques dans les fossés et canaux qui sillonnent par centaines la plaine de la Crau. « Je savais que c’était un sujet sensible. J’y suis donc allé en douceur en demandant à ce que ce soit mis à l’ordre du jour de la commission agricole du quartier en 2020. » En vain. En 2021, des clients venant chercher leur panier de légumes sur sa ferme lui ont signalé des traitements réalisés depuis le bord des routes.

Pour faire changer les pratiques, Thierry Gozzerino a invité ses voisins pour échanger sur le travail du sol et les alternatives aux molécules chimiques. Il leur a proposé de signer une charte pour qu’ils s’engagent à ne plus utiliser de désherbants de synthèse. Sans plus de succès. Il est même allé jusqu’à leur mettre à disposition gratuitement de l’acide pélargonique. Ce désherbant est, selon lui, « moins impactant que le glyphosate ». (...)

Une plainte contre X déposée (...)

dix agriculteurs auditionnés ces derniers mois par l’Office français de la biodiversité (OFB) à la demande du parquet d’Aix-en-Provence. Ils sont suspectés d’avoir pulvérisé du glyphosate alors que la réglementation l’interdit dans les canaux et fossés d’irrigation reliés au réseau hydrographique. Une plainte contre X a été déposée par France Nature Environnement (FNE) Bouches-du-Rhône et Provence-Alpes-Côte d’Azur (Paca) le 5 juin pour non-respect de ces zones de non-traitement. (...)

La plainte mentionne Thierry Gozzerino comme lanceur d’alerte. Depuis, il est la cible d’intimidations et d’appels téléphoniques menaçants. (...)

Le 12 juillet, il a déposé une main courante pour menaces et injures. « Je suis traité de “délateur”. Mais, moi, je suis persuadé que je sauve des vies. » (...)

« Ce n’est pas normal que Thierry endosse seul les risques. C’est un lanceur d’alerte et nous considérons qu’il a parlé en notre nom », réagit Laurence Suzanne, coprésidente des Paniers marseillais, un réseau d’Amap qui fournit 5 500 adhérents en fruits et légumes à Marseille.

L’association a sollicité un rendez-vous avec le président de la chambre d’agriculture des Bouches-du-Rhône, Patrick Lévêque, « afin d’apaiser la situation ». Ce dernier refuse, jugeant le moment inopportun en raison des élections professionnelles agricoles de janvier prochain. (...)

« Le seul de mes quatre oncles encore en vie est celui qui a arrêté l’agriculture à 40 ans. Nous avons clairement une génération qui est tombée comme des mouches. » (...)

« Contrairement au problème de l’amiante dans l’industrie, où les autorités ont fini par réagir, quand il s’agit des agriculteurs personne ne bouge. On continue d’autoriser des molécules qui nous tuent à petit feu, j’en veux aux décideurs politiques de laisser-faire » (...)

L’agriculteur ne cache rien à ses adhérents : sa certification bio menacée, sa maladie de la thyroïde liée à son exposition aux pesticides, les malades autour de lui... « C’est révoltant, réagit Catherine Dumont, membre de l’Amap de Martigues depuis vingt ans. Le pire serait que son alerte retombe comme un soufflet, que tout le monde passe à autre chose. »

L’adhérente a signé la pétition du collectif Zéro phyto dans nos canaux. Ce dernier, formé par des adhérents du réseau des Amap de Provence en juillet, espère « alerter, échanger et présenter des alternatives au glyphosate ». Une réunion avec des agriculteurs de la Crau sur le sujet est prévue le 29 novembre prochain. (...)