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Mediapart
Sur la « route de l’apartheid » : en Cisjordanie, la ségrégation à grande vitesse
#israel #palestine #Hamas #Cisjordanie #Gaza #apartheid
Article mis en ligne le 22 juillet 2024

En Cisjordanie occupée, les gigantesques routes israéliennes ouvrent depuis longtemps la voie à une annexion de facto et favorisent la colonisation. Depuis le 7 octobre, les colons construisent routes et avant-postes illégaux à un rythme sans précédent.

(...) Autrefois, Saleh Mahmoud venait tous les jours sur la terre de sa famille. Ce Palestinien de 69 ans descendait d’Issawiya, où il habite, crapahutait une centaine de mètres à travers champs jusqu’aux oliviers en contrebas et passait quelques heures sur place. Mais depuis janvier 2019, lorsque Israël a inauguré la route 4370 reliant Jérusalem aux colonies israéliennes du sud de la Cisjordanie, l’axe de béton a littéralement coupé l’accès direct à sa terre. Un long mur jouxte l’autoroute, et les flots de voitures ne se mélangent pas. D’un côté, les Israéliens, de l’autre, les Palestiniens. Ces derniers l’appellent « la route de l’apartheid ». (...)

Saleh Mahmoud prend le temps d’expliquer comment est né leur isolement. Comment ils se sont battus, en vain, pour faire modifier le tracé de la route et quels chemins détournés ils sont désormais obligés d’emprunter – en voiture – pour se rendre sur leur champ. Il raconte comment le village d’Al Za’im, où se trouve sa terre, est cerné par les colonies et les implantations sauvages, coincé entre plusieurs ponts. « La logique des Israéliens, c’est de tout prendre. Surtout ce qui est à proximité de Jérusalem », confie, las, le vieil homme à la barbe grisonnante en haussant les épaules.

Depuis des années, la question des axes routiers est cruciale dans l’accélération de la colonisation israélienne (...)

Le gouvernement israélien a engagé depuis 2015 la construction de 107 kilomètres de nouvelles routes et l’extension de 230 kilomètres de voies existantes pour les prochaines années. « Ces routes relient les colonies entre elles et les rapprochent en temps de trajet des villes israéliennes, une manière d’attirer davantage de population », explique Dror Etkes, fondateur de Kerem Navot, expert de la politique de la colonisation. « Ce sont aussi des barrières infranchissables pour les Palestiniens. » Un quadrillage des terres palestiniennes, en somme, qui répond à une véritable logique de ségrégation et à la volonté de briser toute continuité territoriale pour un hypothétique État palestinien. (...)

Ces axes contraignent aussi toute possibilité de développement des enclaves palestiniennes. Du moins, quand ils n’impliquent pas la démolition des infrastructures déjà existantes. (...)

la violence organisée des colons ne cesse de croître. En intensité et en nombre d’attaques, 2023 a été la pire année en la matière, d’après l’ONG israélienne Yesh Din, mais lui n’y croit pas une seconde. « Ce ne sont que des histoires inventées !, continue le jeune soldat, déblatérant des paroles qu’il a entendues en boucle sur les chaînes de télévision israéliennes. Citez-moi un seul colon violent. Les Arabes violents, nous ne les comptons plus. Juste en bas, ils ont assassiné deux jeunes ! »

L’attaque à laquelle il fait référence remonte à février 2023. Un Palestinien avait ouvert le feu sur une voiture, tuant deux frères âgés de 22 et 20 ans, Hillel et Yagel Yaniv, de la colonie israélienne voisine. À cette date, depuis un an déjà, Huwara s’était transformée en poudrière et dès la mort des soldats, les représailles contre les habitant·es n’avaient pas tardé.

Les colons des alentours, lourdement armés, s’étaient rendus dans la vallée, incendiant voitures, commerces et maisons, tuant par balle un Palestinien du village voisin, blessant une centaine d’autres. À l’époque, rarement les attaques avaient été si violentes sous le regard d’une base de l’armée toute proche. Mais aux yeux de ce jeune, le cataclysme du 7 octobre n’a fait que confirmer qu’il fallait plus de « fermeté » envers les Palestiniens. « Les Arabes vont nous faire la même chose que ce qu’ils ont fait près de Gaza dès qu’ils en auront la possibilité », rétorque-t-il. (...)

« La route, c’est pour les colons, soupire Nabil, 43 ans, un des ouvriers, comme s’il était conscient qu’il participait malgré lui à l’entreprise de colonisation. Mais la terre, c’est la nôtre. » Pour beaucoup, crise économique oblige, le réalisme prend le pas sur l’idéologie et la politique.

Depuis le 7 octobre et les mouvements contraints des Palestinien·nes en Cisjordanie, il n’y a pas que les chantiers des axes routiers gouvernementaux qui s’accélèrent en Cisjordanie. Les routes illégales – reliant les avant-postes entre eux – se bâtissent elles aussi à une vitesse sans précédent. (...)

« L’apartheid », « l’enclavement » et « l’annexion de facto » sont des termes que les Palestiniens utilisent depuis longtemps pour parler de leur sort. (...)

Dans ce minuscule hameau palestinien, les trente-quatre maisons ont toutes reçu des ordres de démolition. « L’armée israélienne vient toutes les nuits et, en attendant, ces immeubles poussent comme des champignons », soupire l’homme de 51 ans, les traits tirés et la moustache grisonnante, montrant les tours des colonies israéliennes qui se construisent à l’autre bout de son jardin. (...)

Depuis 2015, la communauté entière se sent coupée du monde. Il n’y a plus aucun transport public pour rejoindre les villes palestiniennes, et leurs plaques d’immatriculation ne permettent pas aux habitant·es d’emprunter la route qui est réservée aux colons. (...)