
Derrière l’émotion suscitée par ce drame survenu en janvier, rien n’a été fait pour savoir si le collège de l’adolescent aurait pu prévenir ce suicide. L’enquête administrative annoncée a été enterrée et le principal, qui minimise les faits de harcèlement, n’a jamais été auditionné. Alerté par courrier, Gabriel Attal n’a pas répondu.
lIl est l’un des visages des victimes de harcèlement scolaire : Lucas, 13 ans, s’est suicidé le 7 janvier 2023 à Golbey (Vosges) alors qu’il subissait depuis plusieurs mois des injures homophobes.
À l’époque, l’émotion est vive et les déclarations unanimes. De Pap Ndiaye à Marlène Schiappa en passant par Clément Beaune, tous les ministres expriment leur sidération. (...)
Unanimité également sur le fait que le drame ne serait qu’une affaire d’enfants. Contrairement aux suicides de Dinah en Moselle ou de Nicolas à Poissy, l’établissement Louis-Armand à Épinal n’aurait pas minimisé les choses. Les adultes seraient hors de cause.
« L’élève et sa mère avaient fait état de moqueries à la rentrée de septembre, faits immédiatement pris au sérieux par les équipes du collège, qui ont fait preuve d’une grande vigilance au quotidien, tout en conservant le lien avec l’élève et sa famille », réagissait le recteur de l’académie de Nancy Metz, Richard Laganier. « La situation a été prise très au sérieux par l’établissement, par le professeur principal, insistait Valérie Dautresme, la directrice académique. Pour nous, et je dis bien à ce stade, la situation a été réglée : Lucas a dit par la suite que les choses s’étaient arrangées, qu’il ne faisait plus l’objet de moqueries. »
Selon l’établissement, tout était donc circonscrit et avait été bien géré. (...)
Mais qu’en est-il réellement ? La situation a-t-elle été bien gérée par le personnel du collège ? L’homophobie était-elle seulement le fait de quatre élèves pendant quelques jours ? (...)
D’après de nombreux éléments obtenus par Mediapart, l’homophobie dont était victime Lucas était en réalité omniprésente, de son arrivée au collège en janvier 2022 à son décès un an après en janvier 2023. Surtout, Mediapart révèle le rôle du principal de l’établissement, qui a tenté de préserver la réputation du collège, quitte à livrer de fausses informations ou à minimiser les agissements des élèves mis en cause.
L’enquête administrative annoncée par le ministre de l’éducation n’a en réalité jamais eu lieu et celle du parquet a été bâclée. Alerté par l’avocate de la famille de Lucas sur un autre cas dans le même collège, l’actuel ministre de l’éducation, Gabriel Attal, n’a pas répondu. (...)
Devant les enquêteurs, la famille et les amis de Lucas évoquent tous un harcèlement bien plus étendu que ne le laisse penser le rectorat. Son frère aîné parle d’un harcèlement qui aurait débuté en 5e et qui aurait perduré jusqu’à la fin. Les témoignages des amis du jeune garçon (que nous désignerons par une initiale) sont édifiants. (...)
Les mis en cause reconnaissent tous s’être moqués de Lucas (...)
Pour la direction de l’établissement, le harcèlement dont était victime Lucas était très ponctuel et aurait seulement eu lieu début septembre jusqu’à l’intervention du professeur principal, puis en octobre avant que la CPE ne convoque ces quatre élèves pour les recadrer. Pourtant, les éléments obtenus par Mediapart montrent que Lucas subissait des injures homophobes depuis son arrivée au collège un an auparavant. (...)
Dans une vidéo postée sur son compte TikTok et obtenue par Mediapart, Lucas exprimait clairement sa souffrance le 23 avril 2022. « Quand les gens de ma classe apprennent que je suis LGBT, je suis le problème », écrivait-il avec un smiley en pleurs. (...)
Seule une enquête portant sur l’établissement et l’ensemble de l’équipe pédagogique aurait permis de savoir si des mesures pour lutter contre le harcèlement étaient prises et si la situation n’était pas minimisée. Mais très peu de personnes ont été interrogées dans le cadre de l’enquête judiciaire. En plus des amis du jeune adolescent, seule la CPE de l’établissement, trois professeurs et trois camarades de classe de Lucas (sur un total de 25 élèves) ont été auditionnés par la police. Des élèves ont évoqué des faits de harcèlement en cours d’histoire-géographie ou d’espagnol, mais les enseignants concernés n’ont jamais été entendus, pas plus que le principal du collège.
En mars 2023, Catherine Faivre, l’avocate de la famille de Lucas, a d’ailleurs sollicité le renvoi du dossier et l’ouverture d’une information judiciaire pour que des investigations et des auditions supplémentaires soient diligentées. En vain. Le procureur de la République d’Épinal, qui n’a pas souhaité répondre à Mediapart, estimait que cela n’était pas nécessaire. (...)
Les accusations infondées de la CPE
Pourtant, les rôles des membres de la direction interrogent. Celui de la CPE d’abord. « Lorsque je lui ai annoncé le décès de mon fils et que j’ai parlé du harcèlement, elle m’a fait croire que je n’avais jamais signalé quoi que ce soit. C’était moi la menteuse », dénonce Séverine. Devant la police, le 10 janvier, la CPE change finalement de version et retrouve la mémoire (...)
« En décembre, j’ai de nouveau alerté la CPE, mais pour elle, il s’agissait de simples chamailleries. Cela faisait trois fois que j’intervenais, mais le collège n’a pas cru bon de convoquer les parents ou de prendre ça au sérieux », poursuit la mère de Lucas.
En effet, les mis en cause ne seront jamais sanctionnés et trois des quatre parents n’ont jamais été prévenus ni convoqués lorsque les faits ont été signalés. « Je ne comprends pas qu’on n’ait pas été au courant de ce qui se passait encore », dénonce le père d’Icham à la police. La mère de Thomas dit ne pas savoir que son fils « avait harcelé Lucas » et explique n’avoir « eu aucun appel du collège avant le 7 janvier 2023 ». Jamais Lucas ne sera vu pas l’assistante sociale, la psychologue ou l’infirmière scolaire. (...)
Après ce suicide, les enquêteurs ont aussi retrouvé un cahier appartenant à Lucas. C’était un cahier d’écriture qui devait rester en cours de français. Il pouvait parfois en lire des extraits à la classe, mais il n’était ni lu ni corrigé par son enseignante. Entre le 18 novembre et le 9 décembre 2022, certains de ses messages interpellent. « À quoi bon l’existence, on ne peut pas la vivre. J’aimerais être une cigale insouciante et mourir à la fin de l’été. Mourir, parfois je suis si mal que j’y pense », peut-on lire. « Si on avait pris au sérieux mon signalement du 5 décembre, on aurait surveillé ce cahier, on serait allé le lire, mais c’est passé à la trappe », se désole Séverine.
Le 10 janvier, lorsque la police investit l’école, la CPE livre aussi de graves accusations aux enquêteurs. Selon elle, une élève l’aurait informée la veille de la mort de Lucas qu’il était « régulièrement » frappé par ses parents. Mais lorsqu’elle est auditionnée, l’élève en question nie totalement avoir dit ça, explique que Lucas n’a jamais dit être frappé par ses parents et qu’elle n’a jamais repéré de bleus ou de cicatrices sur lui. L’enquête écartera d’ailleurs toute situation de maltraitance. Alors pourquoi la CPE a-t-elle lancé ces accusations ? Elle ne sera jamais réinterrogée pour l’expliquer. (...)
D’après nos informations pourtant, au moins une élève a été convoquée par un surveillant sur demande de la CPE pour livrer un témoignage écrit censé être remis au principal pour « faire avancer l’enquête ». Elle aurait produit son témoignage sans que ses parents ne soient avertis et aurait confirmé les injures homophobes dont était victime Lucas. Ce document est aujourd’hui introuvable.
Dans quel cadre la direction a-t-elle fait témoigner des élèves ? Qu’a-t-elle fait de ces documents récoltés ? Sollicité par Mediapart, Christian G. refuse d’en dire plus. « Vous êtes qui pour vous immiscer dans le fonctionnement interne d’un collège, je n’ai pas à vous répondre », balaye-t-il. (...)
16 janvier 2023, le principal déplore « l’emballement médiatique » causé par le suicide de son élève et semble privilégier la réputation de son collège. « Il est à regretter que nous ne puissions communier sereinement à ce deuil avec cet emballage médiatique [sic] et sur les réseaux sociaux. Nous devons protéger l’ensemble de notre communauté face aux censeurs de tous bords », écrit-il, neuf jours après la mort de Lucas, dans un édito intitulé « Laisser dire et bien faire ». (...)
Fin février, il se plaint du « climat » que fait régner l’enquête auprès du personnel du collège. (...)
« Après toutes ces injures homophobes, il n’y a même pas eu une heure de colle. Aujourd’hui, on considère qu’injurier un enfant en raison de son orientation sexuelle ne mérite aucune sanction. » Catherine Faivre, avocate de la famille de Lucas (...)
En première instance et en appel, la justice a systématiquement reconnu la gravité des injures, mais le principal n’est pas de cet avis. « Pour moi, il n’y a pas de harcèlement scolaire. Il y a eu un procès pour des élèves qui ont émis quelques moqueries. C’est tout ! », répond-il à Mediapart. (...)
Après la mort de Lucas, le rectorat a vanté un établissement en pointe contre le harcèlement scolaire et « engagé dans le dispositif pHARe de lutte contre le harcèlement ». Le peu d’éléments obtenus par les enquêteurs permet toutefois de douter de la mise en place de ce programme qui exige que des personnes ressources de l’établissement aient reçu plusieurs heures de formation. Le collège qui applique ce dispositif est aussi supposé être en lien avec les parents et prendre toutes les alertes, même minimes, au sérieux.
Devant les policiers, plusieurs élèves ont d’ailleurs expliqué qu’il n’y avait pas de prévention contre le suicide ou le harcèlement scolaire. En audition, la CPE a même admis qu’il devrait y avoir des ambassadeurs du harcèlement scolaire, « mais que cela n’a pas été fait au vu de la lourdeur de la mise en place et de la gestion par les élèves désignés ».
Lucas ne semblait pourtant pas être un cas isolé. Plusieurs élèves interrogés disent en avoir été victimes. (...)