
Poussés par un Rassemblement national trop heureux de faire oublier les accusations de collusion avec la Russie, les députés ont voté un texte qui expérimente notamment la surveillance algorithmique élargie aux questions d’ingérence étrangère. Seuls les élus insoumis ont voté contre.
(...) Ce texte, c’est la proposition de loi visant à prévenir les ingérences étrangères, largement adoptée mercredi 28 mars, à 171 voix pour et 25 contre. Il est apparu à l’ordre du jour de l’Assemblée dans un contexte complexe de guerre en Ukraine, alors que les autorités françaises craignent de plus en plus les campagnes de déstabilisation, qui pourraient se multiplier à l’approche des prochains scrutins électoraux.
Au mois de novembre, le Quai d’Orsay dénonçait même officiellement une campagne d’ingérence d’origine russe, après que des dizaines d’étoiles de David avaient été taguées sur des murs parisiens. Ce même mois, la délégation parlementaire au renseignement pointait des trous dans la raquette dans la prévention des ingérences en France, illustrés par l’affaire Pegasus. (...)
La proposition de loi déposée par Sacha Houlié, député Renaissance et président de la commission des lois de l’Assemblée, ne comporte que quatre articles. Voulue comme une « boîte à outils », elle ajoute deux principales mesures : l’obligation pour toute personne travaillant pour une organisation financée par une puissance étrangère de se déclarer, et l’expérimentation pour quatre ans de la surveillance algorithmique élargie aux questions d’ingérence étrangère.
Cette surveillance dite algorithmique consiste en l’analyse d’une « boîte noire » enregistrant les données d’appels téléphoniques, et qui permet alors aux services de renseignement de savoir qui appelle qui, et depuis quel endroit.
Mais même avec ces outils de surveillance puissants – réservés depuis 2015 aux questions de terrorisme –, le texte n’est pas assez dur aux yeux du Rassemblement national. (...)
À l’inverse, cette nouvelle donne inquiète beaucoup la gauche. Si les écologistes et socialistes ont finalement voté le texte, les Insoumis ont tenté de mener la bataille sur ce point – le député La France insoumise (LFI) Antoine Léaument y voyant par exemple « tous les outils possibles pour un futur régime totalitaire ». « Monsieur Tanguy a quand même répété à plusieurs reprises en commission qu’il ne fallait pas considérer d’office qu’un opposant politique étranger installé en France n’irait jamais à l’encontre des intérêts français », s’est-il inquiété depuis la tribune.
En clair, s’il était question d’exclure les opposantes et opposants politiques étrangers des mesures de surveillance algorithmique, le RN s’y est finalement opposé. En l’état actuel du texte – qui doit être discuté au Sénat courant mai –, seul·es les diplomates en seront protégé·es.
Mais le parti d’extrême droite va encore plus loin. Le groupe de Marine Le Pen a en effet déposé un amendement demandant à ce que toutes les organisations touchant des fonds d’États étrangers, incluant celles dont une infime partie des revenus provient de fonds étrangers, soient considérées comme instruments d’influence, imposant alors à leurs membres de s’enregistrer comme tels devant la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP).
Dans le viseur du RN, « les ONG et les organisations internationales » car, selon lui, « on ne peut pas considérer d’office qu’elles sont “gentilles” ». « Ce n’est pas pour rien que Greenpeace ne fait jamais d’actions aux États-Unis. Et ce n’est pas parce que le siège de l’Organisation de coopération et de développement économiques est à Paris que l’organisation ne peut pas aller à l’encontre de nos intérêts », pointe Jean-Philippe Tanguy, démenti par les faits en ce qui concerne Greenpeace, qui a bien mené des actions aux États-Unis. L’amendement a finalement été rejeté.
Pour la majorité présidentielle, l’engagement du RN sur le sujet n’a qu’un seul objectif : faire oublier les liens entre le parti dirigé par Jordan Bardella et la Russie. (...)
Un texte stratégique pour le RN
Car le texte a pour origine une bataille rangée entre les macronistes et le RN au sein de la commission d’enquête sur les ingérences étrangères. Si c’est bien le groupe d’extrême droite qui a demandé la création de cette commission d’enquête, c’est finalement Renaissance qui a déposé le texte tiré de ses travaux, alors que Jean-Philippe Tanguy avait annoncé fin 2023 qu’il le ferait lui-même. (...)
« Ce texte montre une certaine naïveté », a de son côté insisté le député LFI Bastien Lachaud. En cause, selon lui, une certaine bienveillance à l’égard des agissements américains, pour un coût sur les libertés publiques jugé trop élevé. « Pour lutter contre les ingérences étrangères qui menacent notre démocratie, vous menacez notre démocratie », a asséné son collègue de banc Antoine Léaument. Finalement, malgré les réserves initiales de tous les groupes de gauche, seul·es les élu·es LFI se seront opposé·es au texte. (...)
Voir aussi :
– Bastien Lachaud / Par franceinsoumise
Ingérences étrangères : Macron vend la France au plus offrant !
(...) Ingérences étrangères : La France serait-elle un nouveau protectorat des États-Unis ?
Dans ce discours Bastien Lachaud s’oppose farouchement à une proposition de loi censée lutter contre les ingérences étrangères. Je dénonce un texte liberticide, inefficace et servant des intérêts partisans. Pire le gouvernement ne propose rien et reste inactif devant des ingérences étrangères avérées.
Il y a d’autres solutions pour lutter contre ces ingérences, tout en préservant les libertés fondamentales. (...)