Bandeau
mcInform@ctions
Travail de fourmi, effet papillon...
Descriptif du site
Mediapart
Les stratèges russes déboussolés face à la lune de miel Trump-Poutine
#Russie #USA #Poutine #Trump
Article mis en ligne le 27 mars 2025
dernière modification le 25 mars 2025

La Russie de Vladimir Poutine avait fait de la lutte contre la domination des États-Unis une priorité de politique étrangère et de l’invasion de l’Ukraine un combat pour l’émancipation des peuples. Depuis l’arrivée de Donald Trump, les choses ne sont plus si simples.

C’était l’une des victoires politiques et symboliques les plus notables de Vladimir Poutine : avoir fait passer l’agression armée d’un pays souverain, l’Ukraine, pour une grande opération visant à l’émancipation des peuples.

Mais depuis que la Maison-Blanche est occupée par un homme, Donald Trump, qui partage largement les vues de Moscou à propos de cette guerre, voit en Vladimir Poutine un « génie » et souhaite une coopération économique soutenue avec la Russie, ce discours est plus difficile à tenir. (...)

Par crainte d’être isolés et ostracisés en raison de leurs violations du droit international, les diplomates russes n’avaient cessé de tendre la main aux pays non occidentaux, en particulier ceux d’Amérique du Sud, d’Asie et d’Afrique subsaharienne – pays regroupés sous le terme de « majorité mondiale » afin de rappeler qu’à leurs yeux, l’Europe et les États-Unis n’étaient qu’une « minorité » politique et démographique.

Pour obtenir leur soutien, la Russie se présentait (notamment dans ce document publié sur le site du ministère russe des affaires étrangères) comme « l’avant-garde de la lutte contre l’hégémonie de l’Occident », celle qui aiderait ces États à retrouver « leur souveraineté pleine et entière, non contrainte par les dogmes, les institutions et les ordres de l’Occident ». (...)

de larges pans des sociétés africaines ont considéré l’invasion de l’Ukraine comme une guerre justifiable par le combat « contre les USA et leurs alliés ».

Puis Donald Trump est arrivé.

Trump, la divine surprise

En quelques semaines, le 47e président des États-Unis a bouleversé trois années de politique états-unienne vis-à-vis de Kyiv. Vladimir Poutine n’est plus un criminel de guerre mais un interlocuteur fiable avec qui Washington se réjouit de collaborer. Le président ukrainien, ce « dictateur », porte la responsabilité du déclenchement de la guerre qui a tué des dizaines de milliers de ses compatriotes. (...)

« Cela a été une surprise, une surprise très agréable », confiait en février Andreï Kortounov, ancien directeur général du Conseil russe des relations internationales (Russian International Affairs Council – Riac), l’un des plus importants think tanks de politique étrangère russes.

« Les Américains ont adopté notre point de vue », constatait également le 2 février, enthousiaste, l’éditorialiste star de la télévision publique russe Vladimir Soloviev, tandis que les invités de son talk-show commentaient avec admiration les déclarations « sensationnelles » de Marco Rubio, le secrétaire d’État de Donald Trump. (...)

Mais tout « agréable » qu’elle soit pour les élites russes, la surprise Trump bouscule leur manière de voir le monde – et de défendre leurs convictions.

Comment s’afficher comme champion de la lutte contre les « ambitions néocoloniales et hégémoniques » lorsqu’on entreprend un grand rapprochement avec un régime qui souhaite annexer le Groenland et le canal de Panamá ? Comment jurer que la guerre en Ukraine vise à renverser un régime « néonazi » tout en entretenant des relations cordiales avec un président dont les plus proches collaborateurs font des saluts nazis en public ? Comment expliquer aux pays non occidentaux que, finalement, les États-Unis ne sont plus un problème ? (...)

Le Kremlin et ses conseillers ne semblent pas encore avoir de réponse précise. « Il y a un moment de recomposition du discours qui est évident, mais avec pour l’instant une forme d’atermoiement dans la posture définitive à adopter », analyse le chercheur à l’Institut de recherche stratégique de l’École militaire (Irsem) Maxime Audinet, qui a étudié extensivement l’utilisation de l’anticolonialisme dans le discours politique russe.

L’hésitation se traduit d’ailleurs dans les discours de certains soutiens assumés du Kremlin sur le continent africain. L’activiste suisso-camerounaise Nathalie Yamb loue ainsi le rapprochement entre Trump et Poutine mais peut difficilement évacuer le fait que le même Donald Trump soutienne l’anéantissement du peuple palestinien. (...)

« Une opportunité et un piège »

Le nœud des débats qui agitent la communauté stratégique russe ne porte pour l’instant pas sur la manière de justifier ce rapprochement avec Washington, mais plutôt sur le fait même de savoir jusqu’où ce rapprochement doit aller.

Le changement de ton à la Maison-Blanche et la « fracture interne à l’Occident » créée par Donald Trump constituent pour la Russie « une opportunité mais aussi un piège », estime Fiodor Loukianov, rédacteur en chef du magazine Russia in Global Affairs, qui craint que Moscou n’y perde son indépendance et ne devienne « un pion dans les batailles internes » de Washington. (...)

L’exécutif russe a bien conscience que sa lune de miel avec Trump pourrait finir par faire tache auprès de la « majorité mondiale ». (...)

Faute d’avoir résolu ce dilemme, il peut toujours attaquer verbalement un autre adversaire : l’Europe. Dans la vision du monde du Kremlin, le Vieux Continent peut continuer d’incarner « l’Occident » honni : contrairement aux États-Unis, il est toujours « woke », libéral, pas suffisamment chrétien, et il n’a pas arrêté de soutenir l’Ukraine. (...)