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Soigner sa pénurie d’infirmières aux dépens des Philippines
#Philippines #Sante #infirmières #emigration
Article mis en ligne le 9 juin 2025
dernière modification le 8 juin 2025

Pour beaucoup de membres du personnel infirmier des Philippines, cette profession est un passeport vers l’étranger.

Formés dès le départ pour travailler à l’international, ils répondent aux appels de pays comme le Canada, en quête de renforts pour leur système de santé. Or, derrière les promesses de recrutement, un grand nombre d’entre eux se retrouvent seuls face à un parcours semé d’embûches administratives.

Le recrutement international s’est intensifié depuis la pandémie et les Philippines font maintenant face à leur propre pénurie de personnel infirmier.

Pour ceux qui choisissent de rester, la charge de travail ne fait que s’alourdir. Les infirmières et les infirmiers sont épuisés, et beaucoup quittent la profession.

(...) Les cours sont donnés en anglais, un choix assumé à la National University, où l’ensemble du programme de sciences infirmières suit cette ligne directrice.

Cet établissement privé mise sur une approche résolument tournée vers l’étranger. Son ambition ? Former des infirmiers prêts à l’embauche sur le marché mondial.

"Nous utilisons à la fois des manuels philippins et des manuels étrangers", précise Maria Lourdes Banaga, rectrice du département de la santé et des sciences. "Et nous préparons nos étudiants à des examens reconnus à l’échelle mondiale." (...)

"Tous ces étudiants que vous voyez là, s’ils veulent devenir infirmiers, c’est pour partir au Canada, aux États-Unis ou au Royaume-Uni", confie Maria Lourdes Banaga en désignant la cinquantaine d’étudiants assis sagement devant elle.

Pour tester ses propos, nous lançons la question à la classe : "Qui ici rêve de travailler à l’étranger ?" Presque toutes les mains se lèvent, sans hésitation.

Un étudiant me demande, mi-figue, mi-raisin : "Est-ce que vous êtes venue afin de nous recruter pour le Canada ?" La salle éclate de rire. Une plaisanterie légère mais révélatrice d’un désir bien réel : celui de partir. (...)
En 2024, les provinces canadiennes auraient recruté 339 infirmières philippines, d’après des données fournies par le Département des travailleurs migrants des Philippines, ce qui place le Canada au cinquième rang des plus grands recruteurs d’infirmières philippines, devant les États-Unis mais tout de même loin derrière l’Arabie saoudite et Singapour.

Le Département des travailleurs migrants précise que le portrait pourrait être sous-estimé et fait l’objet d’une évaluation finale. (...)

Jocelyn Andamo a travaillé pendant plus de 40 ans comme infirmière, principalement dans des milieux ruraux de son pays, où l’accès aux soins de santé est très limité. Elle a été une témoin de première ligne de l’impact du manque de travailleurs de la santé. "Dans les hôpitaux publics, il y a de longues files de patients, et certains restent aux urgences pendant des jours, des semaines, voire des mois, car ils ne peuvent pas être admis, les lits étant tous occupés."

En 2023, la sous-secrétaire au ministère de la Santé, Maria Rosario Vergeire, avait tiré la sonnette d’alarme, affirmant qu’il manquait environ 350 000 infirmiers à travers le pays.

"Le problème des Philippines ne s’est pas posé du jour au lendemain et il n’est pas apparu uniquement à cause du Canada. Il s’agit d’un problème de longue date, de politiques qui promeuvent l’immigration", précise Ivy Bourgeault. (...)

En fait, la pauvreté ne fait aucune distinction. Dans ce pays où le filet social est quasi inexistant, elle frappe les jeunes comme les vieux. Selon un rapport de la Banque mondiale, près de 20 millions de Philippins vivent sous le seuil international de pauvreté, fixé à 2,25 dollars américains par jour.

C’est cette réalité qui pousse nombre d’entre eux à quitter le pays.

Et si le désir de partir n’est ni caché ni mal vu, c’est parce qu’il s’accompagne souvent d’un engagement tacite : celui "d’être utile à son pays" d’abord.

C’est cette conviction qui retient encore Joseph Matthew Sanchez aux Philippines. Infirmier dans la vingtaine, il travaille au département des maladies infectieuses de l’Hôpital national pour enfants, en plein cœur de Manille. (...)

n’a pas encore de date précise en tête, mais il espère entreprendre bientôt les démarches pour partir à l’étranger.

"Je vois sur Internet la différence de salaire et c’est ce qui me pousse à vouloir partir. Je veux pouvoir aider ma famille financièrement", confie-t-il.

"Mais cela ne veut pas dire que je n’aime pas mon pays", ajoute Joseph Matthew Sanchez, qui n’hésite pas à parler ouvertement de son départ éventuel devant les quelques collègues groupés derrière le comptoir du poste de travail de l’étage.

"Il existe une culture de la migration", constate Ivy Bourgeault, professeure au département d’études sociologiques et anthropologiques de l’Université d’Ottawa. Elle a visité les Philippines dans le cadre de sa recherche pour le Réseau canadien des professionnels de la santé.

"Dans les familles, on s’attend à ce que les enfants reçoivent une formation en soins de santé, émigrent et envoient de l’argent à leur famille. Le phénomène est ancré dans le système", dit-elle. (...)

"Au Canada ou aux États-Unis, elles gagnent en une journée ce qu’elles font ici en un mois", constate le Dr Jose Rene De Grano, directeur médical de Lipa Medix. Son expérience en tant que président de l’Association des hôpitaux privés des Philippines lui a appris qu’il est impossible d’arrêter l’exode. Il mise donc sur son ralentissement.

Or, la solution n’est pas magique, et le roulement constant du personnel crée de l’épuisement chez ceux qui restent. (...)