
La justice soupçonne un dignitaire libyen, condamné en France pour avoir organisé l’attentat contre l’avion de ligne DC-10 d’UTA – 170 morts –, d’avoir financé de manière illégale le clan Sarkozy et ce dernier d’avoir tenté, en contrepartie, de faire sauter son mandat d’arrêt.
Une forêt de robes noires a poussé, jeudi 7 mars, dans une salle d’audience du tribunal de Paris. Des avocats, au moins une vingtaine. Certains d’entre eux, des ténors du barreau, comme on dit, sont là pour représenter les intérêts de personnes qui ont compté parmi les plus puissantes du pays : un ancien président de la République (Nicolas Sarkozy), deux anciens ministres de l’intérieur (Claude Guéant et Brice Hortefeux) et un ancien ministre du budget (Éric Woerth). Mais aussi un affairiste proche de l’ex-chef de l’État (Thierry Gaubert), deux agents de corruption présumés (Ziad Takieddine et Alexandre Djouhri) et un ancien dirigeant d’une multinationale de la défense (EADS). Et d’autres encore, treize au total. (...)
On appelle cela une audience de fixation, durant laquelle les parties, c’est-à-dire les mis en cause ou les victimes, peuvent présenter de premières observations, dire si elles envisagent de faire citer des témoins ou annoncer les vices de procédure qu’elles vont vouloir plaider. (...)
Dans le dossier des financements libyens, la justice soupçonne Nicolas Sarkozy et son plus proche entourage d’avoir noué, à l’approche de l’élection présidentielle de 2007, un pacte de corruption avec la dictature libyenne de Mouammar Kadhafi. D’après l’enquête, il en a résulté, d’un côté, des financements occultes au profit de la partie française et, de l’autre, des contreparties de tous ordres (diplomatiques, juridiques ou économiques) au bénéfice de la Libye. (...)
Une partie du soupçon s’articule autour d’un dignitaire libyen du nom d’Abdallah Senoussi, beau-frère de Kadhafi et chef des services secrets militaires de son pays. En France, Senoussi est surtout connu pour avoir été l’organisateur en 1989 de l’attentat contre l’avion de ligne DC-10 d’UTA, qui a causé la mort de 170 personnes, dont 54 Français. La justice française l’avait condamné par contumace à la réclusion criminelle à perpétuité en 1999 et il était, depuis cette date, visé par un mandat d’arrêt international. (...)
Or l’enquête de la justice a permis d’établir qu’Abdallah Senoussi avait envoyé des fonds occultes (440 000 euros) à un proche de Nicolas Sarkozy, Thierry Gaubert, sur un compte caché aux Bahamas, tandis que deux autres lieutenants de l’ancien président, Claude Guéant et Brice Hortefeux, rencontraient secrètement le terroriste d’État à Tripoli.
Les juges d’instruction soupçonnent que le clan Sarkozy se soit, en contrepartie, mobilisé pour tenter de trouver un moyen de faire sauter le mandat d’arrêt de Senoussi dans l’affaire du DC-10 d’UTA, ou du moins d’en faire la promesse au régime Kadhafi, dont il avait décidé de la spectaculaire réhabilitation. (...)
Une seconde audience de fixation est prévue pour le début du mois de septembre, durant laquelle le calendrier des débats sera plus précisément établi. Avant de laisser place, début 2025, à l’ouverture d’un procès unique en son genre : celui d’une démocratie soupçonnée d’avoir été corrompue par une dictature, et à laquelle elle finira par faire la guerre.