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le café pédagogique
Sale temps pour l’école inclusive (I)
#educationnationale
Article mis en ligne le 21 novembre 2023
dernière modification le 19 novembre 2023

L’époque va mal. Et dans ce sinistre maëlstrom de tensions tous azimuts, l’évolution de notre système scolaire vers une école inclusive est lui aussi confronté à des vents mauvais. Trois faits sociaux en témoignent particulièrement en cet automne 2023 : une tribune dans un grand magazine remet en question le concept d’inclusion au nom de l’universalisme républicain ; deux enquêtes et sondages révèlent chez les professeurs une angoisse importante à l’égard de l’inclusion scolaire ; enfin, un article inséré dans le projet de loi de finances 2023 engage un projet de réforme systémique de l’organisation de l’école inclusive très contesté par les associations et les oppositions parlementaires.

L’inclusion contraire à l’idéal universaliste de la République et l’école inclusive responsable de la faillite de l’Éducation nationale ?

C’est une petite musique que l’on entend depuis quelques années déjà, mais elle commence à apparaître plus fréquemment un peu partout, y compris lors de conversations anodines. (...)

Wokisme, baisse du niveau du système scolaire, sapement de la République… D’un point de vue rhétorique, ces accusations à caractère infamant contre l’inclusion et ses acteurs disqualifient toute tentative de discussion. (...)

Toutefois, Vincent Lamkin concède que « l’intégration des personnes handicapées dans la société, à l’école ou au travail » mérite d’être prise en considération. Il affirme ainsi que « L’enjeu est bien de ne pas assigner à résidence un handicapé dans cette identité, mais de la prendre en compte pour lutter contre les inégalités générées par la stigmatisation des différences ». Cela correspond presque au principe de l’inclusion scolaire… qu’il dénonce pourtant. (...)

À l’évidence, les travaux des anthropologues sur la production sociale du handicap et la distinction entre situation de handicap et troubles, pas plus que les principes éthiques et néanmoins légaux des droits fondamentaux à la participation et à la compensation, à l’égalité de dignité, ou encore le devoir collectif de mise en accessibilité et de conception universelle, ne semblent avoir inspiré l’auteur de cette tribune. On ne peut que le déplorer.

Quant à l’affirmation selon laquelle l’inclusion scolaire serait la cause de l’effondrement du système scolaire français, elle est osée. (...)

Cela dit, les réflexions de Vincent Lemkin doivent faire réfléchir, car il existe effectivement une vision néolibérale de l’inclusion scolaire. Elle promeut un système scolaire fondé sur la compétition entre des gagnants et des perdants. Elle appelle à un enseignement individualisé au détriment du collectif et de la construction d’une société solidaire. (...)

À l’opposé de la tendance néolibérale, il existe une vision sociale et humaniste de l’école inclusive, imprégnée de la certitude que tous les êtres humains sont par nature égaux en droits et en dignité, capables de progrès et d’apprentissages. Elle mobilise tolérance mutuelle et solidarité indéfectible entre les êtres humains, quelles que soient leurs différences, et sait tirer parti de l’émulation collective et de la coopération pour le meilleur de tous et de chacun. Cette école inclusive est compatible avec l’universalisme républicain. Elle en est même le cœur. Elle abreuve notamment les racines de la troisième valeur de notre devise, la fraternité. Faudrait-il y renoncer ?

La majorité des professeurs adhère à l’idée d’une école inclusive mais se sent mal à l’aise et même en difficulté sérieuse dans sa mise en œuvre. (...)

Que ce soit dans l’enquête IFOP ou dans celle de l’ASL, il apparaît sans ambiguïté que les enseignants constatent une carence de la formation professionnelle pour qu’ils aient les moyens de faire leur métier dans une école inclusive. (...)

« Les enseignants formés soutiennent également plus volontiers l’insertion des différents types de handicap au sein d’établissements ouverts à tous, et notamment s’agissant du trouble autistique : 68 % des interviewés formés sont favorables à leur insertion, contre 55 % des non formés ». Tous estiment aussi qu’il y a un manque de moyens d’accompagnement patent, qu’il s’agisse des AESH, des enseignants spécialisés ou des services médicosociaux, voire de la hiérarchie. Pour une grande part des répondants de l’enquête de l’ASL, « l’inclusion scolaire se fait à l’économie, avec trop peu d’aide spécialisée réelle, qui ne saurait de toute manière se réduire à des personnels peu formés (les AESH) ».

Ces deux enquêtes montrent cruellement une évidence : on ne transformera pas notre école en école inclusive contre les enseignants à coup de slogans, d’infographies dynamiques, d’injonctions hors-sol ou de statistiques flatteuses (...)

En l’absence d’un effort qui apparaît aujourd’hui considérable pour y parvenir, effort intellectuel et aussi budgétaire, effort accepté par la Nation et soutenu par des politiques cohérentes et responsables, on se dirige vers un sérieux désenchantement, et peut-être même vers une catastrophe démocratique. En effet, Éric Debarbieux et Benjamin Moignard constatent ceci : « une bascule idéologique dangereuse est en cours et risque de remettre en cause la possibilité même de cet accueil ». Devant une telle perspective, certains politiciens de l’extrême haine peuvent se frotter les mains. Ils ont déjà semé leurs graines. Notre inconséquence les arrose.