
Le politiste Guillaume Letourneur, spécialiste du Rassemblement national en zone rurale, revient sur la stratégie du parti d’extrême droite pour se positionner comme le porte-parole d’une France des campagnes menacée « d’effacement ».
Alors que la colère des agriculteurs et agricultrices ne faiblit pas, les cadres du Rassemblement national multiplient les déclarations et les déplacements pour tenter de capitaliser sur le mouvement. Voyant dans les manifestations l’occasion de se poser en champion de la ruralité, Jordan Bardella a ainsi répété qu’il considérait ce mouvement comme « le cri d’un peuple qui ne veut pas mourir ».
Surtout, le parti d’extrême droite veut profiter du moment, à quelques mois des élections européennes, pour renforcer encore un peu plus son image de défenseur de la ruralité, en opposition à une Union européenne accusée de tous les maux. (...)
Guillaume Letourneur : Dans les années 1980-1990, ce sont plutôt les territoires urbains qui étaient convoités par Jean-Marie Le Pen, avec un discours centré sur les banlieues, en lien avec la question de l’immigration et de l’insécurité. Il y a ensuite eu une évolution de la sociologie et de la géographie électorales du Front national, qui a entraîné un repositionnement opportuniste à destination des territoires ruraux dans les années 2000, et surtout à partir de l’arrivée à la tête du parti de Marine Le Pen.
Quelle stratégie a accompagné ce changement de discours ?
Rapidement, quand Marine Le Pen prend le contrôle du parti en 2011, elle oriente sa communication, ses discours et son programme vers les zones rurales. Il y a alors des éléments qui apparaissent dans ce discours aux accents ruralistes, comme la défense des villages et des services publics en zone rurale. (...)
Le RN joue aussi beaucoup sur le mépris ressenti par la population des zones rurales, pour se présenter comme le seul parti qui s’intéresse à eux.
Pourtant, le fonctionnement du RN en interne, y compris dans les territoires ruraux où le RN a des élus, est quand même très élitiste, vertical et parisien. Cela va à l’encontre de l’image d’un parti qui serait le défenseur des classes populaires et rurales. (...)
L’état-major parisien du parti parachute aussi parfois des membres de sa direction dans des circonscriptions rurales où il n’y a pas forcément de gros tissu militant, pour conquérir de nouveaux territoires électoraux (...)
Un autre élément du discours du RN sur le monde rural, c’est l’insistance sur l’insécurité des campagnes, comme on l’a vu avec le meurtre d’un adolescent à Crépol. (...)
Comment les élus locaux, notamment de droite, se comportent-ils face à cette dynamique ?
Il y a souvent des formes de porosité. Chez les électeurs tout d’abord, avec des gens qui peuvent voter parfois pour la droite, parfois pour l’extrême droite, selon le type de scrutin. Mais aussi chez les militants (...)