
À Toulouse s’est tenue mercredi une audience sur le sursis à exécution demandé par l’État et les concessionnaires pour relancer le chantier de l’autoroute, arrêté par le tribunal administratif en février. Le délibéré sera rendu le 28 mai.
Le TA de Toulouse avait ce jour-là annulé les autorisations environnementales délivrées les 1er et 2 mars 2023 pour lancer les travaux de l’A69 et de l’A680 entre Castres et Toulouse, au motif qu’il n’existait pas de raison impérative d’intérêt public majeur (RIIPM) justifiant des dérogations au Code de l’environnement pour ce projet.
L’État ayant fait appel de cette décision, il souhaite empêcher son exécution afin que les travaux, interrompus depuis le 27 février, puissent reprendre au plus vite. (...)
C’était tout l’objet de l’audience du jour qui s’est tenue dans une configuration rare pour un sursis à exécution. En général, un juge unique officie dans ce type de procédure. Mercredi matin, le juge Denis Chabert comptait deux assesseurs et s’était adjoint le concours d’un rapporteur public (magistrat chargé d’étudier le dossier en amont et de rendre un avis censé éclairer les juges), Frédéric Diard. (...)
Ce dernier avait rendu lundi un avis recommandant à la CAA d’accorder ce sursis à exécution. Une recommandation souvent déterminante. « Il peut arriver que le jugement ne suive pas le rapporteur, mais c’est seulement 20 % des cas », a prévenu Alice Terrasse, l’une des trois avocates des opposant·es au projet lors de la conférence de presse tenue à l’issue de l’audience. Avant de tempérer : « Mais plus l’avis est souple et manque de rigueur, plus cela peut se produire. Et c’était le cas aujourd’hui… » (...)
De fait, autant la rapporteuse publique Mona Rousseau, qui avait recommandé l’annulation des autorisations environnementales, avait marqué l’auditoire du TA lors des audiences des 25 novembre et 18 février par son travail précis et étayé, autant Frédéric Diard a paru ce matin bien moins convaincant. « On avait été surpris de sa position il y a deux jours, mais là on a été rassurés par ses propos, où ont figuré très peu d’éléments de droit », égratignait Geoffrey Tarroux, un militant du collectif d’opposant·es La voie est libre (LVEL), à la sortie de l’audience. (...)
Face à une salle comble, Frédéric Diard choisit de se concentrer, pour le « moyen sérieux », sur la RIIPM, dont le TA a réfuté la présence en février. Avec un argument simple : pour lui, « par nature », un projet d’infrastructure routière relève d’un impératif public majeur. « Le motif déterminant est le renforcement du tissu économique du bassin Castres-Mazamet », assure-t-il, n’hésitant pas à invoquer les effets bénéfiques du canal du Midi, réalisé à la fin du XVIIe siècle… « Il en sera de même pour les autoroutes… sans doute. » (...)
À ce moment précis, une partie de la salle peine à se retenir d’« exprimer sa désapprobation » et ses ricanements, comme le lui a demandé le président Chabert. Écartant les motifs de sécurité pourtant longtemps utilisés par les pro-autoroutes, mettant en avant le soutien des élus locaux, et plaidant pour une appréciation globale et « structurelle » du projet, le rapporteur public n’apporte rien de nouveau à l’argumentaire des défenseurs du projet. Simplement, à cette défense bien maigre du « moyen sérieux » que serait l’existence d’une RIIPM, il ajoute les conséquences financières et économiques « importantes » qu’impliquerait selon lui une suspension des travaux (...)
Des plaidoiries fragiles que les trois avocates des opposant·es, Alice Terrasse, Julie Rover et Marine Yzquierdo, vont mettre à mal. La première rappelle le contexte inédit de l’audience avec l’adoption le 15 mai par le Sénat d’un projet de loi de validation du projet A69, permettant de contourner les décisions judiciaires. « Si l’État a eu recours au législateur, c’est qu’il ne croit pas lui-même au bien-fondé de ses propres arguments », note-t-elle, avant d’insister à l’adresse du président sur ce que cette loi de validation porte de « mépris de [sa] juridiction et de la cour qui va devoir statuer alors que la loi sera votée ».
Elle renvoie le juge Chabert à la gravité de l’enjeu : « Il y a une urgence à suspendre et à laisser la juridiction de fond faire son travail. En remettant en question l’analyse du premier jugement, vous donnez la possibilité de reprendre les travaux alors même que la probabilité d’une annulation en appel est forte. Si vous faites ce sursis, la reprise du chantier va s’accélérer au détriment de l’environnement. »
Le narratif, très poussé par les concessionnaires, des conséquences économiques supposément dramatiques de l’arrêt du chantier, est ensuite méthodiquement déconstruit. Atosca brandit la menace d’une cessation de paiements ? En l’occurrence, une « garantie maison mère » signée par son créateur et actionnaire principal NGE fait que c’est ce dernier qui devra régler.
Or, NGE est le quatrième groupe français de BTP et « le groupe estime dans ses comptes consolidés que cela n’aura pas d’impact sur sa situation financière, c’est écrit noir sur blanc », tacle Julie Rover. (...)
Ultime intervenante d’une audience qui aura duré plus de quatre heures et à l’issue de laquelle le président Chabert n’a pas autorisé les avocats des demandeurs à reprendre la parole, Marine Yzquierdo mentionne le contexte de « pression politique » qui entoure le dossier. « Même si une loi de validation doit être votée, il est nécessaire de ne pas donner suite à ce sursis. Il n’est jamais inutile de faire respecter l’État de droit. Il ne faudrait pas découvrir sa valeur une fois qu’on l’aura perdu. » Le délibéré sera rendu « au plus tôt » le 28 mai.