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Alternatives Economiques
Reportage « On travaille, on cotise et on dort dans la rue »
#logement #Paris #précarité #sansabri
Article mis en ligne le 14 février 2024
dernière modification le 12 février 2024

Avoir un travail n’est plus un gage suffisant pour espérer trouver un logement. Reportage dans un campement de fortune parisien.

Ce soir-là, mercredi 10 janvier, le petit camp des « Sapins de la colère » a été remballé préventivement. Depuis le 25 décembre, 38 familles se sont installées là, dans le 7e arrondissement de la capitale, place Jacques-Bainville à Paris, à la sortie du métro Solférino. A proximité du ministère du Logement, elles dorment sous la tente. Sur l’une d’entre elles, deux banderoles jaunes sont étendues : « La rue c’est la mort, un toit c’est la vie ».

Mais le préfet de Paris n’a pas renouvelé l’autorisation de manifestation statique, et quatre policiers sont déjà là : « On a jusqu’à 23 h 59 pour remballer le campement, mais on a déposé un recours, on le remontera demain ! », explique aux personnes présentes Jean-Baptiste Eyraud, porte-parole et fondateur du Droit au logement (DAL).

Le lendemain, jeudi 11 janvier, le campement est effectivement remonté. L’endroit n’est pas choisi au hasard : où que l’on regarde, des bâtiments entiers sont vides, désertés. L’association a déposé des demandes de réquisition pour deux de ces immeubles vides, « appartenant à un spéculateur » et situés aux 227 et 229 boulevard Saint-Germain ; mais celles-ci ont, comme d’habitude, peu de chances d’aboutir.
Danara, première de corvée à la rue

Le matin sur le campement, il n’y a pas grand monde. La plupart des personnes qui dorment ici travaillent durant la journée. « Des boulots de premiers de corvée », explique le DAL. Nettoyage, bâtiment, restauration : elles touchent des petits salaires qui ne leur permettent pas de se loger, et retournent au turbin après les nuits gelées sous la tente. Certaines sont employées de grandes entreprises, d’autres travaillent en intérim, d’autres encore de manière non déclarée. (...)

Dans un français quasi parfait, Danara raconte son parcours. Asile, vie de sans-papiers, travail au noir, hébergement de la débrouille. Et enfin, un récépissé de permis de travail. Pendant près de six ans, elle travaille sans relâche dans les cuisines d’une chaîne de restauration, gagne 1 700 euros par mois et se loge avec sa fille dans le privé, dans un appartement miteux du 15e arrondissement de Paris, qu’elle a dû quitter en mars 2023 car le propriétaire voulait vendre. « Depuis, je n’ai rien retrouvé. » Avec des revenus maigres et aucune garantie financière, Danara n’est même pas retenue pour les visites par les agences du secteur privé (...)

Depuis décembre 2023, Danara se retrouve donc à la rue, sans solution. Sa fille, étudiante à la Sorbonne, s’arrange chaque soir pour dormir chez des amis. « J’appelle le 115, mais comme ma fille est grande, je ne suis pas prioritaire, ils n’ont pas de place pour moi. »

En avril 2023, avec l’aide du DAL, Danara avait pourtant déposé (pour la deuxième fois) une demande Dalo, « droit au logement opposable », qui lui permettrait en théorie de recevoir des propositions de logement social. « Aujourd’hui, je suis toujours en attente de réponse », explique-t-elle.

Comme Danara, ils sont plus de 93 000 « éligibles Dalo », essentiellement en région parisienne, mais sans solution. (...)

Selon la Fondation Abbé Pierre, « le nombre de personnes SDF a doublé en dix ans ». L’Insee indique qu’environ 25 % de ces personnes occupent un emploi. (...)

Présent depuis le début de l’occupation, Salah, moustache blanche et veste en tweed, est l’un des plus âgés du campement.

« J’ai travaillé toute ma vie comme couturier, raconte-t-il, mais aujourd’hui je ne touche que 1 100 euros de retraite. »

Ce qui ne suffit évidemment pas pour se loger en région parisienne. (...)

Hébergement, hôtels-dortoirs, sous-locations illégales et de courtes durées. (...)

Au 8 février, le campement était encore debout. La petite place a été rebaptisée « place de l’appel de l’abbé Pierre ». A deux pas, le ministère du Logement venait tout juste d’hériter d’un nouveau locataire attitré.