
En 1966 environ 75 000 personnes vivent dans des bidonvilles en France. Pour l’essentiel des travailleurs et leurs familles, plus pauvres que les pauvres, aux 4⁄5e immigrés. La question est prise dans celle d’une crise du logement persistante, et posée comme telle par les groupes et partis mobilisés. Aujourd’hui 15 à 20 000 y vivent encore. Mais on parle à peine de crise du logement. Plutôt de « campements illicites ». Parce que la plupart de leurs habitants sont roms ? Sans droits, pas de toit ; sans toit, pas de droits, semble dire l’adage français.
(...) 1960-2014 : qui vit dans ces bidonvilles ?
Le parallèle entre ces deux périodes historiques permet de créer des résonances dans l’analyse de l’action de l’État vis-à-vis des personnes qui habitent dans ces bidonvilles. Les contextes sont très différents mais pourtant des similitudes existent.
Dans les années 1960, le nombre de personnes vivant en bidonville, nettement sous-évalué, est estimé par les pouvoirs publics à plus de 75 000 personnes. En 1966 est réalisée par le Ministère de l’Équipement et du Logement une enquête officielle, intitulée « Études sur la résorption des bidonvilles » [3]. Ses éléments principaux permettent de dresser un diagnostic détaillé des lieux d’implantation des bidonvilles, des nationalités et du nombre de personnes concernées. Paris et sa banlieue concentrent 119 bidonvilles où vivent 47 000 personnes, ce qui représente 62% des personnes vivant en bidonvilles.(...)
Sur l’ensemble du territoire, il existe 255 bidonvilles. Concernant les nationalités ou régions de provenance des habitants, ces derniers viennent pour la plupart du Maghreb (42%), du Portugal ou d’Espagne (respectivement 21% et 6%), et 20% sont de nationalité française. (...)
Les bidonvilles d’aujourd’hui sont constitués de familles, pour la grande majorité venant de Roumanie et de Bulgarie qui, pour des raisons économiques, sont contraintes de se réfugier dans des espaces informels pour constituer leurs abris de fortune. Elles les occupent de manière illégale, ces terrains appartenant à des propriétaires publics ou privés. Les associations qui travaillent auprès de ces populations estiment que le nombre de ces personnes est stable depuis une dizaine d’années, entre 15 000 et 20 000 personnes. L’entrée de la Roumanie et de la Bulgarie dans l’Union européenne en janvier 2007 ne semble pas avoir eu d’incidence sur le nombre de ressortissants de ces pays souhaitant s’installer en Europe de l’Ouest. En effet, dès 2002, les ressortissants de ces pays étaient déjà exempts de visas pour s’y rendre.
La Délégation interministérielle à l’hébergement et à l’accès au logement (Dihal), en charge depuis septembre 2012 du suivi de la mise en œuvre de la circulaire interministérielle du 26 août 2012 « relative à l’anticipation et à l’accompagnement des opérations d’évacuation des campements illicites », réalise régulièrement un « état des lieux des campements illicites ». Le dernier date de septembre 2014. Il recense près de 495 « campements illicites » sur l’ensemble du territoire, où vivent 17 500 personnes. (...)
Ce recensement effectué par les préfectures ne contient aucun élément officiel sur la nationalité des occupants de ces bidonvilles. Les associations et collectifs qui travaillent auprès de ces personnes constatent qu’elles sont pour la plupart européennes, de Roumanie et de Bulgarie, appartenant à la minorité rom. (...)
Un reportage photographique publié sur le site de Médiapart met en parallèle ces deux réalités très proches l’une de l’autre avec pour titre : « 1950-2014 : toujours les mêmes bidonvilles ». (...)
En 1960 une véritable politique de résorption des bidonvilles a été mise en place. Aujourd’hui, la mission que s’était fixée Cécile Duflot semble déjà bien lointaine. La logique dominante demeure l’expulsion et la destruction, sans alternative proposée aux familles, ainsi contraintes de reconstituer sans cesse un nouvel abri, à quelques mètres du précédent. Ces évacuations mettent un terme à l’accompagnement social mené par les associations et collectifs, aux liens qui ont pu être créés avec l’environnement social (Protection materno-infantile, l’école, le Centre d’action social…). L’obligation par exemple de détenir une adresse postale agréée pour initier les démarches d’obtention de l’Aide médicale d’État reflète cette volonté de mise à l’écart de ces personnes : comment prouver sa présence sur un territoire lorsque l’on vit en bidonville ? Les associations et collectifs dénoncent les entraves permanentes mises à l’accès aux droits de ces populations : logement, travail, santé, éducation… (...)
Cette situation a été dénoncée par un avis de la Commission nationale consultative des droits de l’Homme (CNCDH) rendu le 20 novembre 2014, « sur le respect des droits fondamentaux des populations vivant en bidonvilles ». La Commission demande ainsi très clairement l’« arrêt immédiat des évacuations sans solution adaptée et pérenne de relogement et d’accompagnement vers l’accès au droit, ces opérations étant non seulement attentatoires aux droits mais encore contre-productives » [5]. (...)
Malgré les rapports des associations [6] et d’institutions (CNDH, Défenseur des droits) qui s’accordent à dire que la politique d’évacuation systématique des bidonvilles n’apporte aucune solution pour ces personnes, mais au contraire les précarise toujours plus, les gouvernements successifs maintiennent leur logique répressive. (...)
Dans une démarche commune, des associations, collectifs et syndicats ont souhaité élaborer une Charte rappelant aux responsables, acteurs publics ou privés les droits des occupants de ces bidonvilles. Avant, pendant, suite à une évacuation, ces organisations constatent, on l’a vu, des entraves à l’accès aux droits, des droits bafoués, avec des conséquences terribles sur les personnes (rupture dans l’accompagnement sanitaire, scolaire…). L’objectif est de convoquer de manière solennelle les droits existants, au niveau national, européen et international, pour interpeller les pouvoirs publics tenus de les respecter. Le droit à un logement convenable, à l’éducation, à la non-discrimination, à un procès équitable sont autant de principes fondamentaux qui encadrent, en théorie, l’action de ces acteurs.
Un Guide a été réalisé par l’association Jurislogement pour donner des outils juridiques pour défendre les droits des occupants de terrain.
Cette Charte a été adressée à l’ensemble des acteurs publics ou privés intervenant dans ce cadre. Les organisations ont souhaité également l’afficher sur les terrains pour informer les personnes de leurs droits.