Bandeau
mcInform@ctions
Travail de fourmi, effet papillon...
Descriptif du site
France24
Quand la politique anti-inclusion de Trump s’en prend à des Afro-Américains enterrés aux Pays-Bas
#USA #Trump #memoire #revisionnisme
Article mis en ligne le 17 novembre 2025

Des panneaux rendant hommage à des soldats afro-américains ayant combattu aux Pays-Bas lors de la Seconde Guerre mondiale ont été récemment retirés d’un cimetière militaire américain. Selon des personnalités néerlandaises, ce retrait est lié à la politique de l’administration Trump qui s’attaque aux programmes de diversité, d’équité et d’inclusion.

(...) La ségrégation jusqu’au front

Lors de la libération de l’Europe, plus de 15 000 soldats afro-américains ont été basés aux Pays-Bas. La plupart se trouvaient dans le sud de la province du Limbourg, plaque tournante logistique de la 9e armée américaine d’octobre 1944 à mars 1945. Victime de la ségrégation qui sévissait alors aux États-Unis, ces hommes ont pour beaucoup été cantonnés à des rôles d’intendance dans les dépôts, les boulangeries ou les blanchisseries, ou conduisaient les camions acheminant l’approvisionnement pour le front.

C’est ainsi qu’à l’automne 1944, des soldats afro-américains du 960th Quartermaster Service Company (compagnie de ravitaillement) arrivent dans le nouveau cimetière de Margraten pour y inhumer les soldats tombés au combat dans des conditions particulièrement difficiles, par roulements de 12 heures, pendant trois mois d’affilée.

Interrogé par le site Military Times, le sergent-chef Jefferson Wiggins, décédé en 2013, avait raconté cette expérience traumatisante : "On nous avait enjoint de respecter ceux que nous ne pouvions même pas côtoyer dans la vie. Mais dès le premier jour, nous avons compris que, quelles que soient nos expériences de vie en tant qu’Afro-Américains, c’était notre devoir : mettre de côté nos préjugés, notre couleur de peau et nos peurs, et accorder à ces jeunes Américains l’honneur, le respect et la dignité qu’ils méritaient tant." (...)

Depuis plusieurs années, des chercheurs néerlandais comme Kees Ribbens se sont donné pour mission de faire connaître ces histoires au grand public. "D’une part, ces récits évoquent la ségrégation qui régnait alors dans l’armée américaine ; d’autre part, ils parlent des Néerlandais, hommes et femmes, enfants de soldats noirs américains, qui souvent n’ont jamais connu leur père", insiste l’historien. (...)

L’ambassade américaine aux Pays-Bas ainsi que l’American Battle Monuments Commission (ABMC), l’agence gouvernementale des États-Unis chargée de l’entretien des monuments et cimetières militaires américains, sensibilisés à ce sujet, ont contribué à la mise en place en septembre 2024 de ces deux panneaux.

Mais aujourd’hui, ils semblent avoir fait volte-face en les retirant. Contacté par le magazine américain Newsweek, l’ABMC s’est justifié en expliquant que "le centre d’accueil des visiteurs de Margraten comportait 15 panneaux magnétiques conçus pour être retirés et échangés tout au long de la durée de l’exposition afin de mettre en valeur autant d’histoires individuelles que possible". "Le panneau consacré au technicien de quatrième classe George H. Pruitt n’est pas exposé actuellement, mais il continue d’être présenté régulièrement", a ajouté l’ABMC. (...)

Même si Kees Ribbens avoue "ne pas savoir avec certitude ce qui leur est arrivé", il n’est pas convaincu par ces explications. "Le fait que les panneaux aient été retirés si discrètement soulève des interrogations quant aux motivations de cette intervention", souligne-t-il.

L’historien ne manque pas de faire le lien avec la situation politique actuelle de l’autre côté de l’Atlantique : "Les présentations inclusives de l’histoire ne sont pas privilégiées par l’administration américaine." Comme le rappelle Newsweek, depuis le retour de Donald Trump à la Maison Blanche, certains faits d’armes ont été effacé (...)

Une réécriture de l’histoire

L’ABMC n’a pas non plus manqué d’être la cible de ces purges. Selon Dutch News, la très influente Heritage Foundation, un groupe de réflexion conservateur, a contacté en mars dernier l’agence gouvernementale pour lui faire part de son manquement aux directives du président américain visant à annuler les programmes de diversité, d’égalité et d’inclusion (DEI). Peu de temps après, la responsable de la diversité de l’ABMC, Priscilla Rayson, a été démise de ses fonctions.

Pour l’historien Kees Ribbens, le retrait des deux panneaux s’inscrit donc dans cette continuité : "Cela pourrait suggérer une réécriture de l’histoire, une tentative de présenter un récit consensuel que l’administration actuelle jugerait sans doute patriotique."

Theo Bovens, sénateur néerlandais et président de la fondation Black Liberators in the Netherlands (Les libérateurs noirs aux Pays-Bas), est lui aussi consterné, mais préfère n’avancer aucune hypothèse. (...)

"L’histoire se doit de raconter toute l’histoire. Tous les Européens, quelles que soient leur couleur de peau et leurs origines culturelles, devraient pouvoir être fiers de leurs libérateurs. Il ne s’agit pas d’un élan de bien-pensance, mais d’une question de vérité. Nous leurs devons", ajoute-t-il. (...)

"Une décision inappropriée et inacceptable"

L’homme politique a donc sollicité une rencontre avec l’ambassadeur américain Joe Popolo, un homme d’affaires qui a soutenu Donald Trump lors de ses campagnes présidentielles. Comme le rapporte le NL Times, onze partis politiques du Limbourg ont également demandé des explications à l’ABMC. "Retirer les panneaux commémorant les sacrifices des soldats afro-américains est un affront à l’histoire, une décision inappropriée et inacceptable", ont-ils déclaré dans un communiqué.

Bas Albersen, porte-parole du gouverneur du Limbourg, a aussi annoncé lundi 10 novembre auprès du journal britannique The Guardian que le gouvernement provincial allait lancer un appel urgent à l’ABMC et à l’ambassadeur des États-Unis pour obtenir la restitution de ces panneaux.