
Emmanuel Macron et Gabriel Attal ont choisi de nommer à la tête du ministère de l’éducation une femme dont les trois enfants sont scolarisés dans un établissement catholique élitiste et conservateur à l’extrême. Ce choix, outre qu’il devient très encombrant politiquement, offre à l’opinion une incarnation quasi parfaite d’une école privée qui part à la dérive.
Les révélations autour de la ministre Amélie Oudéa-Castéra font également office de sérum de vérité en ce qui concerne le jeu inégal que mènent l’école publique et l’école privée sous contrat en France. « L’affaire marque la fin d’un cycle et d’une omerta politique qui a duré quarante ans », prophétisait récemment le député insoumis Paul Vannier dans nos colonnes.
Un cycle entamé à l’occasion du renoncement à un service de l’éducation unifié proposé par le socialiste Alain Savary sous François Mitterrand et des manifestations monstres en faveur de « l’école libre ».
(...) Comme des milliers de parents, Amélie Oudéa-Castéra fait le choix de payer pour l’éducation de ses enfants. C’est son droit le plus strict. Mais elle bénéficie d’un système devenu fou, qui rend accessible, grâce au financement de l’État, et même attractive, l’école privée au détriment du public. (...)
« Cette situation est incompréhensible pour nombre de mes collègues à l’étranger, qui ne comprennent pas pourquoi nous nous arrachons les cheveux pour réduire la ségrégation scolaire tout en continuant à financer à plus de 70 % un secteur privé qui n’est soumis à aucune contrainte », pointait le sociologue Marco Oberti avant même le début de l’affaire. (...)
Un financement que complètent les collectivités locales, en partie par obligation (c’est, là encore, le cadre imposé par la loi Debré), en partie par choix. (...)
le marché est truqué. L’école privée sous contrat se réserve les 20 % les plus « rentables » de ce marché, sans que la puissance publique n’y trouve à redire. (...)
’en face d’une école privée à laquelle on demande si peu de comptes vivote une école publique à laquelle on demande tout, sans lui octroyer les moyens de jouer à armes égales.
Soumise à un tel régime, il n’est pas surprenant qu’elle vacille. (...)
La Cour des comptes l’atteste, les « écarts se creusent » de manière structurelle, profonde, entre le public et le privé en matière de mixité sociale : les élèves de familles très favorisées, qui constituaient 26 % des effectifs de l’enseignement privé sous contrat en 2000, en représentent presque le double vingt ans plus tard, et les élèves de milieux favorisés ou très favorisés y sont désormais majoritaires. Par ailleurs, la part des élèves boursiers s’élevait à 11,8 % des effectifs en 2021 dans le privé sous contrat, contre 29,1 % dans le public. (...)
socialement, un gouffre sépare le public et le privé, qui va bien au-delà du simple clivage religieux. C’est pourtant la fiction qu’entretient à dessein l’Église catholique, relayée dernièrement par Emmanuel Macron (...)
Si au moins les termes du contrat étaient respectés, la question ne serait que sociale. Or le raidissement sur la famille de l’Église ces dernières années, avec en point d’orgue l’épisode de la Manif pour tous, déteint sur toute l’école privée sous contrat, à 96 % catholique. Les personnels de ces établissements sont d’ailleurs souvent les premiers à dénoncer une « dérive conservatrice » (...)
Revendiquant une « éducation intégrale », dispensée dans le cadre des cours « d’éducation sexuelle et affective », l’enseignement catholique s’écarte de plus en plus franchement des consignes de l’Éducation nationale, au nom du « caractère propre » des établissements. (...)
Le contournement de Parcoursup pratiqué par Stanislas, dont a bénéficié la ministre pour son enfant, est la dernière pierre de cet édifice. (...)
Amélie Oudéa-Castéra veut aujourd’hui clore la séquence, et qu’on la juge « comme ministre ». Emmanuel Macron, quant à lui, pense pouvoir se passer de cette réflexion. Il suffira pour faire société, croit le président, de créer de bons petits républicains en imposant à l’école publique l’uniforme, le Service national universel, en faisant chanter La Marseillaise aux élèves ou en leur faisant déclamer « les grands textes ». Il oublie l’avertissement, lancé il y a plus d’un siècle, par Jean Jaurès : « Quiconque ne rattache pas le problème scolaire ou plutôt le problème de l’éducation à l’ensemble du problème social, se condamne à des efforts et à des rêves stériles. »