
Alors qu’en juin doivent entrer en vigueur les décrets appliquant les sanctions prévues par la loi plein emploi, la Quadrature du Net révèle que France Travail utilise des robots pour contrôler les chômeurs. Une procédure algorithmique qui permet de sanctionner plus vite. En parallèle, l’organisme développe l’IA dans tous ses services.
Vous recevez un message. Vous lisez. Votre RSA est suspendu.
Comme des millions de sans-emploi, vous êtes inscrit depuis le 1er janvier sur la plateforme France Travail, qui remplace Pole Emploi. Et comme eux, vous avez signé un contrat d’engagement réciproque sous peine de perdre votre revenu de solidarité active. Vous le savez, vous devez prouver que vous êtes « actif ». Mais vous ne comprenez pas pourquoi. Personne ne vous a prévenu. A bien y réfléchir, vous n’avez pas contacté votre conseillère depuis un moment. Avant, elle vous avertissait en cas de problème. Elle essayait de comprendre. A bien y réfléchir, vous n’avez pas non plus mis à jour votre CV sur l’espace numérique dédié. Trop tard. Vous n’avez plus que quelques jours pour contester avant de perdre votre moyen de survivre.
Un contrôle des chômeurs sous algorithme
Voilà ce qui risque d’advenir à partir de juin à nombre d’inscrits à France Travail. Attendus en ce début de mois, les décrets doivent appliquer les sanctions du Contrôle Recherche Emploi (CRE) dit rénové, prévu par la loi dite Plein Emploi. Ils prévoient notamment de supprimer de 30 % à 100% de l’allocation dans une procédure dite de suspension-remobilisation, comme l’avait révélé Le Monde. Notamment en cas de non-respect du contrat d’engagement. Objectif affiché par le gouvernement : triplement des contrôles d’ici 2027 ! 1, 5 millions par an. Pour les atteindre, France Travail s’est doté d’un agent d’un genre plutôt automatique : un algorithme (...)
Pour calculer le « niveau d’importance » des personnes vues comme « suspectes », la direction a établi une « grille d’analyse », empreinte d’un « discours policier », dénonce la Quadrature qui l’a rendue publique. (...)
Quand l’algorithme indique, l’humain suit ?
Qu’importe si ces critères ne reflètent pas la réalité de recherche de travail. L’activité sur l’interface France Travail apparaît comme l’indicateur privilégié. « Je dis souvent aux demandeurs d’emploi faire semblant d’être présent sur votre espace », glisse une conseillère. Sauf que tous ne sont pas vraiment à l’aise avec les applis. Une étude, relayée… par France Travail, explique que 88% des personnes ayant des difficultés avec le numérique sont pénalisées dans leur recherche d’emploi 20%. En priorité les séniors, les jeunes défavorisés et les personnes éloignées de l’emploi. Ces victimes de l’illectronisme seront-elles radiées en priorité ? (...)
Avec ces algorithmes, le situation de personnes précarisées, parfois complexe sera-t-elle désormais résumée à un code informatique ? Pour l’instant, le robot ne peut pas techniquement clôturer un dossier sans validation d’un agent. Juste aider le conseiller à se faire « une idée du dossier avant de l’ouvrir », ajoute une connaisseuse. Dans les faits, « à partir du moment, où le robot donne une indication, l’humain suit », assure Alex qui suit ce dossier à la Quadrature du Net. De toute façon, ça aura un impact : la décision humaine est influencée par le profilage numérique ». D’autant que « les agents devront justifier s’ils vont contre l’algorithme ». (...)
« Taper avant le recours pour accélérer la sanction »
Aussitôt contrôlé, aussitôt suspendu ? La décision de sucrer les droits de l’allocataire sera prise « directement sans entretien avec le demandeur d’emploi », indique France Travail qui se targue de mettre fin à la sanction automatique suite à une absence à un rendez-vous. En réalité, l’échange avec un conseiller permettait jusqu’à présent d’éviter le pire à beaucoup de chômeurs n’ayant honoré une convocation. Car « les gens ne viennent pas au rendez-vous parfois pour de très bonnes raisons », rappellent plusieurs interlocuteurs. (...)
Depuis l’annonce de la création de France Travail syndicats et conseillers s’interrogent sur la manière dont ils vont gérer l’afflux de nouveaux inscrits. Un début de réponse avait été apporté dans le plan d’efficience : la direction ambitionne d’économiser pas moins de 3700 Équivalents Temps Plein. Principalement en redéployant ses effectifs vers les services chargé du contrôle rénové. (...)
En juin, un nouvel assistant devrait aider les agents à calculer le montant de la suspension en fonction de la situation de la personne sanctionnée. Un autre algorithme est déjà présent pour profiler des rsa-istes et les orienter vers l’un des trois parcours (emploi, socio-professionnel ou social). Et dès 2018, FT développe l’intelligence artificielle « au service de l’emploi » pour « révéler à chaque demandeur d’emploi son potentiel de recrutement ». (...)
Les gadgets en tout genre ne manquent pas. (...)
France Travail, une base données personnelles inédite
Cette robotisation du traitement des sans-emploi est friande d’informations. Or, la loi « plein emploi crée le plus grand fichier jamais créé des personnes précaires », dénonce Alex de la Quadrature. Depuis le 1er janvier, la plateforme mutualise et partage les infos de chaque inscrit, consultables par les autres organismes d’insertion (Cap Emploi, Missions locales…).
La volonté d’identifier les freins à l’emploi – difficultés de mobilité, d’accès au logement, à la garde d’enfants ou aux soins- conduit les agents à connaître des informations qui ne le concernent pas. (...)
Les décrets d’applications de la loi dévoile l’étendue de ce que peut savoir France Travail. Jusqu’à des données relatives aux capacités en lecture, écriture et calcul, au type et l’origine du handicap, à l’état de santé d’un enfant, à la mise sous curatelle ou tutelle, au titre de séjour ou à la décision d’obligation de quitter le territoire français. Et même au mode de vie itinérant. (...)
Ces données seraient auto-hébergés et stockées dans des data centers propres à France Travail. L’an dernier, une cyberattaque a siphonné les coordonnées de potentiellement 43 millions d’usagers. La CNIL mène une enquête pour en déterminer les causes.
Cette insertion version IA ne semble pas encore tout à fait au point. Selon une observatrice de France Travail, l’algo de contrôle a été abandonné en Normandie où il était expérimenté. En Paca, les agents ne l’utiliseraient plus. Et le robot planterait dans certaines agences franciliennes. Jusqu’à une prochaine version ? En attendant, l’usage de l’IA et ses conséquences sur les agents et les usagers fait actuellement l’objet d’une expertise, mandatée par la CSE central de France Travail. Étude menée par des humains.