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le Café Pédagogique/AFEF – Association française pour l’enseignement de français
Programmes de français : Un déni de démocratie et de pertinence
#educationNationale #afef #ecolematernelle #ecoleprimaire #enseignement #programmes #français
Article mis en ligne le 9 mai 2024
dernière modification le 6 mai 2024

Une consultation nationale sur les projets de programmes des cycles 1 et 2 a été lancée le 16 avril pour un retour des organisations représentatives le 3 mai, une clôture le 13 mai et une entrée en vigueur en septembre 2024. Le calendrier précipité suggère combien le destin des futurs élèves de maternelle et de primaire a été tracé à l’avance. Dans quel sens ? L’Association Français pour l’Enseignement du Français partage sa réponse à la « consultation ». Le verdict est sans appel : « L’AFEF rejette totalement ces projets de programmes qui sont élaborés dans un déni de démocratie. Ils ne correspondent pas aux besoins des professeurs, sont en désaccord total avec la didactique du français, et nous paraissent très dangereux tant ils mettent sourdement en place un élitisme précoce, par un processus de mise à l’écart des plus faibles. »

Observations de l’AFEF sur les projets de programmes cycles 1 & 2

L’AFEF, réunie en CA le 27 avril, a lu les projets de programmes des cycles 1 & 2 en français et a retenu un certain nombre d’observations. Elle insiste sur le fait que ces textes nous sont envoyés comme des projets, mais sont titrés « programmes » sans aucune concertation avec les organisations représentatives.

1. Sur le changement des programmes (...)

La seule raison avancée (la scolarisation à 3 ans) est un argument très faible au regard de la scolarisation massive en maternelle qui existait déjà avant. La raison qui nous apparait en filigrane est celle de répondre à un afflux de contractuels non formés, auxquels on offre un programme-catalogue à déployer point par point, qu’ils n’auraient qu’à appliquer au pied de la lettre, sans le retour réflexif et la liberté pédagogique qui définissent la profession d’enseignant.

b. L’AFEF ne comprend pas le changement de modus operandi dans la construction des programmes. Depuis la mise en place d’un Conseil supérieur des programmes, avant de diffuser un projet dont on sait qu’il sera peu modifié, les associations disciplinaires, interdisciplinaires et les syndicats étaient invités à les discuter, faire des propositions, des modifications… C’est ce qui a été fait pour les programmes de 2015 des cycles du socle commun, c’est aussi ce qui a été fait de 2017 à 2019 pour les programmes de lycée et de lycée professionnel ; là, aucune consultation des organisations représentatives n’a eu lieu ; cet infléchissement de méthode est un déni de démocratie, et cette pseudo consultation a posteriori ne saurait masquer une absence de consultation préalable.

2. Sur la conception des programmes (...)

a. Les textes semblent au premier abord respecter les cycles imposés par la loi d’orientation de 1989, mais leur découpage par année, avec des objectifs précis à chaque palier, anéantit l’intérêt des cycles qui est de permettre aux enfants de progresser à des rythmes différents. De plus, les cycles sont adossés au socle commun, qui disparait aussi (...)

b. Les programmes français, à tous les niveaux, commencent dans leur préambule par un exposé de leurs finalités et valeurs, le sens de l’école, la place de l’école dans la société, la place des parents dans l’école, l’ouverture au monde, la formation d’une culture. Dans le préambule de ces projets, cet exposé n’apparait pas, et les programmes sont détachés du contexte social et familial dans lequel ils s’insèrent. C’est d’autant plus inacceptable dans les cycles 1 & 2 où le lien avec les familles est fondamental, dans un contexte de fortes inégalités scolaires largement corrélées aux inégalités sociales. (...)

c. Les textes montrent des confusions importantes entre l’oral et l’écrit (...)

d. Nous ne voyons pas comment certaines répétitions, gourmandes en temps, permettent de développer du vocabulaire ; par exemple répéter « les mots de proximité (poule/roule/boule/moule) » ne sert à rien, en contexte un enfant ne se trompe pas et va corriger automatiquement, ces exigences de discrimination phonologique ne correspondent pas à la réalité, et les mots visés sont des mots que les enfants maitrisent à cet âge.

e. Les apprentissages sont présentés de manière très mécaniste : en « français » on n’apprend pas des morceaux isolés, tout est imbriqué dans un ensemble complexe ; l’apprentissage de la langue, de la littérature ne se découpe pas, on apprend un tout et non des morceaux qui s’ajoutent les uns aux autres. (...)

f. En cycle 2, certes, on va vers une disciplinarisation progressive, et les attendus peuvent être plus précis ; mais pas avant le CE1. (...)

les attendus qui sont indiqués ne correspondent pas à cet âge, ils sont bien trop élevés. De plus, les programmes, par leurs présupposés que la majorité des enfants ne maitrisent pas, sont stigmatisants ; par exemple en CE1 l’activité « Lors de l’étude d’une œuvre, il écrit la suite d’un passage », est inaccessible à un très grand nombre d’enfants de cet âge.

g. Le modèle d’écriture est un modèle ancien et descendant : « on discute, on écrit, on corrige », qui ne tient pas compte des recherches en didactique de l’écriture. L’écriture est ici réduite à l’acquisition d’outils à entasser, sans prendre en compte les processus d’écriture, et les différents usages et formes de l’écrit, pour comprendre, penser, essayer, se tromper, recommencer, imaginer… (...)

h. Les textes ne tiennent pas compte de tous les apprentissages invisibles, car tout n’est pas observable. L’enfant a besoin d’un bain de littérature pour former son langage et son esprit. Beaucoup d’acquisitions passent par des d’apprentissages souterrains qui développent différents types de compétences humaines. Notamment l’empathie, qui doit faire partie d’une formation générale de l’humain, et non être détachée et « enseignée » à côté. (...)

L’AFEF rejette donc totalement ces projets de programmes qui sont élaborés dans un déni de démocratie. Ils ne correspondent pas aux besoins des professeurs, sont en désaccord total avec la didactique du français, et nous paraissent très dangereux tant ils mettent sourdement en place un élitisme précoce, par un processus de mise à l’écart des plus faibles. Ce n’est pas à cet âge que se forment les élites. Et ceux qui auront été écartés auront beaucoup de mal à remonter la pente.