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Écrans et enfants : quand la recherche publique flirte avec les intérêts privés
#ecrans #enfants #educationNationale #entreprisesprivees
Article mis en ligne le 18 juin 2025
dernière modification le 16 juin 2025

La cellule investigation de Radio France a enquêté sur la stratégie des start-ups du numérique mais aussi des GAFAM pour faire rentrer les écrans à l’école.

Les écrans et leurs effets sur la santé et le développement cognitif des enfants sont devenus un enjeu majeur de santé publique. En avril 2024, un groupe d’experts créé par l’Élysée rendait un rapport inquiétant, avec 29 préconisations fortes, comprenant des restrictions et des mesures d’âge : pas d’écrans avant 3 ans, pas de téléphones avant 11 ans ni de smartphones connectés avant 13 ans. Et des réseaux sociaux interdits aux moins de 15 ans.

Un an plus tard, seules deux recommandations du groupe d’experts ont été annoncées pour la rentrée prochaine : la généralisation de l’expérimentation "portables en pause" au collège et un droit à la déconnexion des outils numériques scolaires. Aucune des mesures de restriction, en revanche, n’a pour l’instant été mise en œuvre. (...)

Les écrans et leurs effets sur la santé et le développement cognitif des enfants sont devenus un enjeu majeur de santé publique. En avril 2024, un groupe d’experts créé par l’Élysée rendait un rapport inquiétant, avec 29 préconisations fortes, comprenant des restrictions et des mesures d’âge : pas d’écrans avant 3 ans, pas de téléphones avant 11 ans ni de smartphones connectés avant 13 ans. Et des réseaux sociaux interdits aux moins de 15 ans.

Un an plus tard, seules deux recommandations du groupe d’experts ont été annoncées pour la rentrée prochaine : la généralisation de l’expérimentation "portables en pause" au collège et un droit à la déconnexion des outils numériques scolaires. Aucune des mesures de restriction, en revanche, n’a pour l’instant été mise en œuvre. "Vous n’êtes pas dans la vie des familles tous les jours, l’interdiction complète est toujours difficile", explique en février dernier la ministre de la Santé, Catherine Vautrin, après avoir "beaucoup écouté les experts", à la sortie d’une rencontre organisée lors d’un déplacement à l’hôpital Robert Debré.

Des jeux vidéo pour améliorer la qualité de la lecture ?

Or, ce jour-là, un seul membre du groupe d’expert de la "commission écrans" de l’Élysée est convié au déplacement de la ministre, sur proposition de l’APHP (Assistance publique - Hôpitaux de Paris), d’après le cabinet de Catherine Vautrin : le directeur du LaPsyDé, un laboratoire public de recherche en psychologie du développement de l’enfant, qui dépend de la Sorbonne et du CNRS, Grégoire Borst.

Sur cette question des écrans, ce dernier est l’une des figures les plus médiatisées. Grégoire Borst est régulièrement interviewé dans les journaux, sur les plateaux de télévision, mais aussi sur les antennes de Radio France. Selon lui, les écrans ne sont pas mauvais "par nature", car ils peuvent servir d’outils d’apprentissage. Ainsi, en 2020 sur le plateau de l’émission Enquête de santé sur France 5, il affirme avoir "montré" dans son laboratoire que "les enfants qui jouent aux jeux vidéo d’action augmentent la qualité de leur lecture". Mais lorsqu’on se penche sur les recherches menées au sein du LaPsyDé, on ne trouve aucune trace d’une telle étude à l’époque.

Interrogé par la cellule investigation de Radio France, Grégoire Borst explique faire référence à une étude italo-suisse, validée scientifiquement et publiée... deux ans après l’émission, dans la revue Nature human behaviour. "L’une de nos chercheuses participait à ce projet", assure Grégoire Borst pour expliquer cette déclaration : "En 2020, toutes les données avaient été collectées et leur analyse effectuée, la méthodologie était de nature à pouvoir établir un lien de causalité. Je pouvais donc dire que nous l’avions montré". Pourtant, en 2023, lorsque Grégoire Borst tente finalement de reproduire les résultats de l’étude italo-suisse, avec le jeu vidéo créé spécialement pour l’étude, dans son laboratoire, il n’identifie aucun effet positif sur la lecture. (...)

Un projet de recherche soutenu par un fonds qui investit dans les Data centers (...)

Si les collaborations entre les laboratoires de recherche publics et les entreprises privées n’ont rien d’illégal, elles doivent en revanche être transparentes. Or, interrogé par la cellule investigation de Radio France, Grégoire Borst admet ne pas avoir mentionné ses liens avec l’industrie dans sa déclaration publique d’intérêts, lors de sa participation au groupe d’experts de l’Élysée sur les écrans (...)

Si tous les membres du groupe d’experts sur les écrans ont dû remplir une déclaration publique d’intérêts, ces dernières n’ont pas été mises en ligne, ce qui est contraire à la réglementation. Interrogé sur ce point, l’Élysée répond que les documents "n’ont pas été conservés".

Une forme d’écosystème

Cette porosité entre laboratoires de science cognitive, intérêts privés et politiques publiques n’a rien d’anecdotique. Elle constitue même la base d’une forme d’écosystème, avec des laboratoires publics au sein desquels certains chercheurs, spécialistes de sciences cognitives et ouvertement défavorables à des mesures de restriction des écrans pour les enfants, cultivent une proximité et des liens financiers avec des entreprises de la technologie. Et le cas du LaPsyDé ne semble pas si singulier. (...)

Des millions d’euros de subventions publiques

Quid du partenariat entre le chercheur et la start-up ? Initialement, le projet, mené avec une association et l’académie de Créteil, et subventionné à hauteur de près d’un million d’euros par l’État, devait permettre de "former des enseignants du premier degré en utilisant le levier du numérique grâce à une plateforme inédite". Or, si des outils numériques ont bien été développés, ils n’ont jamais été mis à disposition des enseignants, comme le constate un rapport critique du Haut conseil d’évaluation de la recherche (Hcérès)(Nouvelle fenêtre). La plateforme Didask est désormais commercialisée à destination d’entreprises privées : "Les données ont essentiellement conduit à améliorer les fonctionnalités de la plateforme Didask", sans que les outils pédagogiques ne soient rendus accessibles, estime le rapport du Hcérès.

L’entreprise, elle, a annoncé il y a quelques jours avoir levé 10 millions d’euros auprès de fonds d’investissements.

Si, comme il l’assure à la cellule investigation de Radio France, Franck Ramus ne reçoit aucun financement direct de l’industrie pour ses travaux de recherche, il est toutefois indiqué, dans un rapport d’évaluation de son laboratoire de 2023(Nouvelle fenêtre), que son unité "utilise les ressources d’une autre équipe", celle d’Emmanuel Dupoux, un chercheur du LSCP, également salarié à mi-temps, de Facebook (Meta), ce qui a été jugé compatible avec son statut de fonctionnaire par l’administration. (...)

Pour Emmanuel Gavard, journaliste tech du magazine professionnel Stratégies(Nouvelle fenêtre), la proximité entre laboratoires de sciences cognitives et géants du numérique s’explique assez aisément : "Le but des plateformes, c’est que vous soyez happés. C’est ce qu’on appelle l’économie de l’attention. Donc ces entreprises ont besoin de faire des études sur notre comportement, pour comprendre ce qui nous retient et comment fonctionne le cerveau".
Des expérimentations avec Microsoft pour "capter l’attention"

Ces liens de proximité entre laboratoires de recherche en sciences cognitives et entreprises du numérique interrogent d’autant plus qu’ils concernent une population vulnérable : les enfants, et même les plus jeunes d’entre eux, comme le démontre un autre projet en partenariat entre une entreprise privée et un laboratoire de recherche public. (...)

l’Education nationale rappelle que "l’utilisation d’équipement individuel est proscrite à l’école maternelle", et qu’elle n’est "ni souhaitable, ni nécessaire" en primaire, tout en précisant que "l’école doit jouer un rôle déterminant pour utiliser les opportunités du numérique, dont l’intelligence artificielle, à des fins pédagogiques".

Un double discours problématique selon Christophe Cailleaux, responsable du groupe numérique du Snes-FSU : "D’un côté le gouvernement dit qu’il faut protéger les enfants des écrans, mais d’un autre il subventionne le développement des outils numériques à l’école. Il y a des enjeux financiers parce que c’est de l’argent public investi dans des solutions privées, mais aussi des enjeux cognitifs pour les élèves, et en termes de liberté, de surveillance des données... Avec l’intelligence artificielle, c’est une évolution fulgurante, et en tant que responsables des générations futures, nous avons la responsabilité de dire stop. Il faut faire pause".