Bandeau
mcInform@ctions
Travail de fourmi, effet papillon...
Descriptif du site
Mediapart
Procès Paty : un réquisitoire implacable, des peines requises mesurées
#SamuelPaty
Article mis en ligne le 19 décembre 2024
dernière modification le 17 décembre 2024

Les avocats généraux ont requis dix et douze ans de prison contre le père de famille et le prédicateur à l’origine de la campagne de haine fatale à Samuel Paty. Entre un et seize ans pour les autres accusés. Des peines insuffisantes aux yeux de la famille du professeur.

Le contexte très particulier d’un procès se révèle quand, au moment de requérir des peines contre les accusés, un avocat général commence par prendre la défense de la victime. Qui plus est quand celle-ci a été décapitée.

C’est pourtant la tâche à laquelle Nicolas Braconnay a cru devoir s’astreindre, lundi 16 décembre. Parce que Samuel Paty, professeur d’histoire-géographie assassiné à la suite d’une cabale ayant armé un terroriste djihadiste, est depuis la funeste journée du 16 octobre 2020 « calomnié » par celles et ceux qui considèrent « au pire qu’il a eu ce qu’il méritait » ou a minima déplorent sa mort violente mais formulent un « mais »…

Alors le magistrat du Parquet national antiterroriste (Pnat) rappelle que le cours, à l’origine de la polémique, délivré par Samuel Paty et intitulé « Situation de dilemme : être ou ne pas être Charlie », durant lequel il avait diffusé des caricatures du Prophète, était « équilibré et pertinent, dénué de toute volonté de choquer, destiné à susciter chez les élèves une réflexion ». « Nous sommes presque gênés de rappeler tout ça. Ce cours était irréprochable et a été injustement critiqué. Notre procès n’est pas celui de Samuel Paty ou de son cours », insiste Nicolas Braconnay. (...)

Les peines les plus légères ont été prononcées envers les quatre accusés faisant partie de ce que l’on appelle « la djihadosphère » et qui échangeaient sur les réseaux sociaux avec Anzorov, notamment sur leurs projets de rejoindre une organisation terroriste.

Ismaïl Gamaev, celui contre lequel les charges étaient les plus lourdes, devait retourner en prison. En tout cas, c’était l’idée du Pnat au commencement du procès, a avoué Marine Valentin. Mais l’accusation a tenu compte, et c’est suffisamment rare pour le remarquer, qu’il a été « le seul à reconnaître pleinement sa responsabilité et à exprimer des regrets sincères » à l’audience.

Lors de son interrogatoire, Ismaïl Gamaev avait détaillé son processus de radicalisation, sans concession avec ses propres errements et ceux de sa famille. À son endroit, la magistrate a requis cinq ans d’emprisonnement dont dix-huit mois avec sursis simple, une peine qui couvre la détention provisoire déjà effectuée. Gamaev ne retournera pas en prison.

Les peines les plus lourdes ont été requises à l’égard des deux amis du terroriste, Naïm Boudaoud, 22 ans, et le Russe d’origine tchétchène Azim Epsirkhanov, 23 ans, accusés d’avoir assuré le « soutien logistique au plus près du terroriste et de son crime ». (...)

Une fatwa numérique

Mais le cœur des réquisitions comme du procès, ce qui en constitue sa singularité, a été consacré aux deux hommes accusés d’avoir « orchestré une campagne de haine qui a désigné Samuel Paty comme une cible ». À savoir Brahim Chnina, le père de famille qui s’était insurgé sur les réseaux sociaux du cours donné par le professeur, et Abdelhakim Sefrioui, prédicateur islamiste habitué des polémiques et ayant apporté son soutien pour amplifier « la fatwa numérique ».

Ni l’un ni l’autre ne pouvaient prévoir qu’Abdoullakh Anzorov, qu’ils ne connaissaient pas ou peu, allait décapiter Samuel Paty, concèdent « sans difficulté » les magistrats. « Personne ne dit qu’ils souhaitaient la mort de Samuel Paty, mais en allumant ainsi des milliers de mèches numériques, ils savaient que l’une d’elles mènerait à la violence djihadiste contre le professeur blasphémateur », expliquent-ils. (...)

Le père de famille était à l’origine de la polémique et il a été en relation téléphonique avec le futur assassin mais le Pnat se montre plus indulgent avec lui, du fait de son comportement à l’audience – « Brahim Chnina a reconnu, certes maladroitement, confusément, mais il a reconnu sa responsabilité dans le crime commis contre Samuel Paty » – et de l’ascendant « considérable » qu’avait sur lui Abdelhakim Sefrioui.

Concernant ce dernier, Marine Valentin et Nicolas Braconnay ne trouvent aucune circonstance atténuante. Les magistrats le dépeignent comme un militant en perte de vitesse, ayant « flairé un bon coup » et qui passe à l’action comme « un rapace tombant sur sa proie ». Ils ironisent sur ce « Monsieur Jourdain de la fatwa » qui « en lancerait sans s’en rendre compte ».

Un militant qui impose des rapports de force puis pousse les autres à passer à l’acte. « L’histoire d’Abdelhakim Sefrioui, c’est celle de l’homme qui joue avec le feu pendant vingt ans et qui, le jour où il provoque l’incendie, explique à tous qu’il ignorait que le feu pouvait brûler », cingle Nicolas Braconnay. (...)

Marine Valentin de pointer son comportement à l’audience : « Abdelhakim Sefrioui s’est présenté devant vous la tête haute et les mains propres. Ce crime n’a manifestement eu aucun effet sur lui, pas même une ombre sur sa conscience. Sa peine, au-delà du message social dont elle est porteuse, doit faire comprendre à l’accusé la gravité des faits. Il a fait montre d’une suffisance inversement proportionnelle à sa remise en question. »

Un peu plus tôt, les avocats généraux se sont évertués, au-delà des peines requises, de replacer l’attentat dans son contexte, celui d’un « traumatisme national » qui a eu « une influence sur nous tous ». (...)

À l’issue de ces réquisitions, les avocats de partie civile se sont présentés devant les micros et les caméras à l’extérieur de la salle d’audience, pour dire l’émotion de la famille Paty face à la faiblesse à leurs yeux des peines requises.

Le verdict de la cour d’assises est attendu en fin de semaine, jeudi ou vendredi.