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Au Zimbabwe, la nouvelle loi sur les ONG menace de transformer les « chiens de garde » de la société civile en « toutous »
#Zimbabwee #ONG #repression
Article mis en ligne le 26 novembre 2025

Voilà un peu plus de sept mois que la loi portant modification de la loi sur les organisations bénévoles privées a été promulguée au Zimbabwe, le 11 avril 2025, et déjà, elle remodèle l’environnement opérationnel des organisations non gouvernementales et de la société civile au sens large.

Les observateurs des droits humains tirent la sonnette d’alarme face à ce qu’ils qualifient comme une « attaque sans précédent contre l’espace civique au Zimbabwe », qui a une « incidence néfaste sur les libertés fondamentales ».

La loi resserre les exigences en matière d’enregistrement et de rapports pour les organisations caritatives et autres groupes de la société civile, en étendant les pouvoirs exécutifs sur les organisations et en introduisant des sanctions plus sévères en cas de non-conformité, y compris des sanctions pénales pour les dirigeants de groupes considérés comme violant la loi.

Elle impose également de nouvelles restrictions sur le financement international et accorde aux représentants du gouvernement un large pouvoir discrétionnaire pour auditer, suspendre ou remplacer les dirigeants des ONG et geler leurs actifs. En outre, les orientations gouvernementales qui accompagnent la loi exigent des organisations bénévoles privées (OBP) existantes qu’elles se réenregistrent dans les 90 jours suivant l’entrée en vigueur de l’amendement.

Le gouvernement zimbabwéen affirme avoir introduit la loi sur les OBP pour garantir la conformité avec les cadres réglementaires internationaux sur le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme, en particulier la recommandation 8, qui concerne le secteur à but non lucratif. (...)

le gel actuel de l’aide extérieure des États-Unis a également eu un impact négatif sur les programmes de développement au Zimbabwe, en particulier dans les domaines du VIH/sida, des soins de santé et de l’agriculture. Selon Marvelous Khumalo, porte-parole de la Crisis in Zimbabwe Coalition – une alliance de plus de 80 organisations de la société civile (OSC) zimbabwéennes œuvrant pour le changement démocratique –, la nouvelle loi sur les OBP a littéralement paralysé les activités des OSC dans tout le pays. (...)

Selon M. Khumalo, le régime de la Zanu-PF – qui gouverne le Zimbabwe depuis 1980 et qui est dirigé par le président Emmerson depuis 2017 – a perdu sa légitimité dans la mesure où le contrôle du gouvernement est désormais si restreint. Il ajoute que pour que la démocratie fonctionne, les acteurs non étatiques devraient être en mesure de demander au gouvernement de rendre compte de ses actions et d’exiger la transparence dans la gouvernance.

« Or, ceci n’est guère plus possible au Zimbabwe étant donné que la plupart des ONG ont pratiquement cessé leurs activités sous l’effet de la loi sur les OBP », a-t-il expliqué.
Les ONG de défense des droits humains forcées de se comporter « en toutous plutôt qu’en chiens de garde »

On ne dispose pas de chiffres précis sur le nombre d’ONG qui ont fermé depuis la promulgation de la nouvelle loi sur les OBP, en partie parce que la loi dissuade les ONG chargées de surveiller l’espace civique de jouer ce rôle. (...)

D’autres acteurs de l’espace civique affirment que les entraves bureaucratiques introduites par la nouvelle loi perturbent déjà les programmes de santé, d’éducation et de défense des droits humains dans l’ensemble du pays. Les petites organisations communautaires, qui fonctionnent avec des budgets très serrés et dépendent de subventions extérieures, se voient confrontées à des coûts et à de formalités administratives supplémentaires. (...)

Signes d’un gouvernement « intolérant à toute forme de contrôle ou d’examen »
Les principales organisations de défense des droits humains, associations de juristes et ONG internationales ont publiquement critiqué la loi, jugeant celle-ci disproportionnée et incompatible avec les obligations internationales du Zimbabwe en matière de liberté d’association et d’expression.

Dans une déclaration de juin 2025, la Fédération internationale pour les droits humains (FIDH) et l’Organisation mondiale contre la torture (OMCT) ont qualifié la loi d’« attaque sans précédent contre l’espace civique au Zimbabwe » qui aura « des effets néfastes sur la société civile et l’espace civique zimbabwéens, en violation de la constitution du Zimbabwe et des obligations internationales du pays en matière de droits humains ».

Dans une déclaration datant d’avril 2025, Idriss Ali Nassah, chercheur principal sur l’Afrique chez Human Rights Watch, a lancé une mise en garde : « Les groupes de la société civile ne devraient pas avoir à travailler avec la crainte d’être fermés et leur personnel inculpé au pénal pour avoir simplement fait leur travail. » De leur côté, Amnesty International, la New York Bar Association et les organismes régionaux de défense des droits humains ont émis des avertissements similaires, appelant à l’abrogation de la loi ou à sa modification urgente afin de protéger l’espace civique. (...)

Les groupes de défense des droits ont également exprimé leur inquiétude quant au fait que l’amendement contient des infractions au libellé ambigu qui risquent de criminaliser des activités de défense des droits humains et des activités « politiques » de routine. D’autres rapports mettent en évidence des clauses qui interdisent aux ONG de se livrer à un « lobbying politique » non défini et qui interdisent le financement à partir de « sources illégitimes » mal spécifiées, créant par-là même de vastes motifs de poursuites et de saisies de fonds. Les observateurs estiment que cette formulation a un effet dissuasif : certains groupes pourraient s’autocensurer ou limiter complètement leurs activités de plaidoyer afin d’éviter les poursuites judiciaires.

Il est particulièrement révélateur que les organisations bénévoles privées qui risquent d’être les plus touchées par la loi se soient abstenues de tout commentaire sur le sujet, de peur de se voir refuser des licences ou de se les voir purement et simplement retirer. (...)

Le ZCTU condamne une loi élaborée sans consultation

Le Congrès des syndicats du Zimbabwe (ZCTU), la plus grande organisation syndicale faîtière du pays, affirme que la loi a été élaborée sans aucune consultation avec les parties prenantes concernées, ajoutant qu’il s’agit d’un stratagème du gouvernement de la ZANU PF pour réduire au silence les voix dissidentes, en particulier celles qui sont impliquées dans la gouvernance, les droits humains et les activités de défense des droits. (...)

la loi pourrait entraîner des pertes d’emploi massives dans le secteur des ONG (qui emploie officiellement quelque 18.000 personnes selon l’enquête sur la main-d’œuvre et le travail des enfants de 2019) et perturber les nombreux services essentiels fournis en partie grâce aux ONG. (...)

Contestation juridique

Depuis l’adoption de la loi, les groupes de défense des droits signalent une augmentation des inspections, des demandes d’informations financières et des cas de dirigeants d’ONG ayant fait l’objet de sanctions administratives. Cette application renforcée de la loi s’inscrit dans un contexte plus large de contrôle des manifestations et de restriction des rassemblements publics, ce qui intensifie les craintes que les acteurs civiques ne soient soumis à des sanctions plus sévères pour avoir mené des activités liées aux droits humains.

Selon les analystes, la loi portant modification de la loi sur les OBP est susceptible de causer des dommages à long terme à la prestation de services, au contrôle indépendant et à la responsabilité démocratique. (...)

Les réseaux de la société civile et les acteurs internationaux demandent instamment au gouvernement zimbabwéen de réviser la loi, de clarifier les dispositions ambiguës, de revoir à la baisse les mesures punitives et d’ouvrir des processus de consultation significatifs avec les parties prenantes.

Certaines associations juridiques préparent également des recours devant les tribunaux nationaux et régionaux, notamment la Crisis in Zimbabwe Coalition, qui a déposé, le 7 octobre 2025, une demande d’ordonnance d’invalidité constitutionnelle auprès du tribunal de grande instance de Bulawayo, pour contester plusieurs articles de la loi sur les OBP.

Les mois à venir montreront si le gouvernement répondra positivement à ces appels à la réforme de la loi sur les OBP ou s’il intensifiera son application, un choix qui déterminera si les ONG peuvent poursuivre leurs activités ou si l’espace civique du Zimbabwe continuera à se contracter.