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« Pour sauver la planète, faites la guerre, pas l’amour »
Article mis en ligne le 15 octobre 2024
dernière modification le 25 septembre 2024

Charbon, gaz et pétrole furent des outils de paix, assure le chercheur Pierre Charbonnier dans « Vers l’écologie de guerre ». Fini le « pacifisme libéral » : pour les grandes puissances, agir pour le climat devient un gage de stabilité.

Février 2022. L’invasion de l’Ukraine par l’armée russe et les sanctions économiques qui s’ensuivirent contre le régime de Vladimir Poutine ont jeté une lumière crue sur la dépendance énergétique de l’Union européenne au gaz et au pétrole russes. Soudainement, la sobriété et les énergies renouvelables se retrouvèrent parées des oripeaux de la souveraineté énergétique. Devenue une question géopolitique, la transition environnementale s’ancrait enfin au cœur de l’agenda politique européen.

L’historien des sciences et philosophe Pierre Charbonnier qualifie ce tournant, caractéristique de la première moitié des années 2020, d’« écologie de guerre » — par opposition à « l’écologie de paix » qui prévalait selon lui depuis la sortie de la Seconde Guerre mondiale. Dans son dernier livre Vers l’écologie de guerre — Une histoire environnementale de la paix (La Découverte), l’essayiste, volontiers provocateur, estime que le retour du conflit entre grandes puissances est une bonne nouvelle pour la planète, car « la seule chose plus dangereuse que la guerre pour la nature et le climat, c’est la paix ».

Il désigne une paix historiquement particulière : la « paix de carbone », selon l’expression de l’historien étasunien Thomas Oatley. (...)

Après les horreurs de la guerre et de la Shoah, les Alliés, fondant les Nations unies, décidèrent de « neutraliser la guerre » en dopant l’économie mondiale à l’aide d’énergies fossiles, de façon à « jeter les bases d’un ordre international où la jalousie économique était jugulée et le besoin de maîtrise territorial satisfait ».

Au lieu de se régler par les armes, la compétition entre grandes puissances, y compris en pleine Guerre froide, s’accomplit dans une course économique et technologique. (...)

Les nations nouvellement indépendantes ne furent pas en reste et s’efforcèrent de rattraper leur retard technologique — selon le prisme du développement — à grands renforts d’énergies fossiles tirées de leur sous-sol. Témoins : le Brésil, l’Inde et les États du Golfe.

Une « paix fossile » insoutenable (...)

harbon, gaz et pétrole ne sont désormais plus vus comme les outils de la paix, mais comme des armes aussi dangereuses que les têtes nucléaires de la Guerre froide. C’est là qu’intervient l’écologie de guerre : conscientes du danger des énergies fossiles, tant pour la planète que pour leur propre sécurité, de plus en plus de grandes puissances — la Chine, les États-Unis et l’Union européenne au premier chef — considèrent dorénavant la décarbonation comme un gage de stabilité et la fameuse « course au net zero » comme leur nouveau champ de confrontation. (...)

« La mise en forme de politiques post-fossiles n’est pas un atterrissage pacifique »

Dans cet affrontement à venir, la coalition post-fossile aura tout intérêt à ne pas négliger le légitime droit au développement des pays du Sud, dont l’économie repose encore majoritairement sur les énergies fossiles à bas coût, au risque — comme on le devine dès à présent en Afrique de l’Ouest — qu’ils ne se rapprochent d’États fossiles comme la Russie (...)

Contre l’environnementalisme libéral

Une telle représentation des relations internationales, résolument conflictuelle, détonne avec la tradition écologiste, historiquement pacifiste et antimilitariste. Pierre Charbonnier assume volontiers cette position clivante (...)

Pour autant, la lecture de Vers l’écologie de guerre dérange. La thèse de Pierre Charbonnier en faveur du réalisme géopolitique de l’écologie ne manque pas d’intérêt et de pertinence. Mais si, comme le soutient l’auteur, une coalition d’États désireux de s’affranchir des énergies fossiles serait indubitablement une bonne nouvelle pour le climat, on ne saurait pour autant réduire l’écologie à la seule question de la décarbonation et de la transition énergétique (...)

Or, décarboner l’ordre géopolitique international ne garantit aucunement une avancée sociale et démocratique à l’échelle planétaire. Au contraire, la transition énergétique des économies occidentales, telle qu’elle s’observe actuellement, reconduit au contraire la soif impériale des grandes puissances, qu’on voit déjà se ruer avidement sur les ressources du Sud. D’autant que, comme le soutient lui-même Charbonnier, l’écologie de guerre s’inscrit dans la filiation de l’économie de guerre des deux guerres mondiales, marquée par l’encadrement coercitif de la population par l’État.

En d’autres termes, est-ce parce qu’ils se veulent décarbonés que nous accepterions de vivre sous le joug de nouveaux empires ? (...)