
L’Irak pratique l’agriculture désertique en puissant de l’eau dans ses nappes phréatiques. Cette technique lui a permis en 2024 de dépasser l’autosuffisance avec 6,4 millions de tonnes de blé récoltées. Mais elle risque par ailleurs de causer l’épuisement des réserves hydriques souterraines du pays.
(...) "Année après année, la sécheresse empire et la désertification s’intensifie", confie à l’AFP Hadi Sahib, 46 ans, un agriculteur père de 12 enfants. "Les arroseurs ont permis un succès phénoménal. On n’a qu’à les mettre en marche et à s’asseoir", ajoute-t-il. (...)
L’enjeu est capital dans ce pays de 46 millions d’habitants souffrant de précipitations en recul et d’une baisse du débit des fleuves.
Depuis des millénaires, pour cultiver les régions du Croissant fertile arrosées par le Tigre et l’Euphrate, on inonde les champs en conduisant l’eau des fleuves vers les parcelles grâce à des canaux. Face aux pénuries, l’Irak cherche à mettre fin à ce gaspillage mais pompe les eaux souterraines. (...)
"On ne pourrait pas continuer sans les nappes phréatiques, difficile d’avoir l’eau sans creuser des puits", confie à l’AFP l’agriculteur en jellabah, dans son champ balayé par une tempête de sable.
Cet hiver, 3,1 millions de donums ont été cultivés grâce aux eaux souterraines et aux "systèmes d’irrigation modernes", selon les autorités. Contre deux millions de donums grâce aux fleuves et barrages.
Le danger de la surexploitation (...)
En 2024, l’Irak a ainsi dépassé l’autosuffisance avec 6,4 millions de tonnes de blé récoltées.
Les autorités se disent conscientes du risque de surexploitation des eaux souterraines. (...)
"Les nappes phréatiques constituent une réserve stratégique importante pour les générations à venir", reconnaît Moneim Chahid. "Nous devons être vigilants, l’eau doit être rationnée", dit-il en soulignant que les arroseurs "aident à réguler la consommation des eaux souterraines".
Dans le désert de Kerbala, dans le centre du pays, la prestigieuse institution administrant le mausolée de l’imam Hussein, capable d’endosser des investissements colossaux, pratique depuis 2018 l’agriculture désertique.
L’institution vise 3 750 hectares de blé, contre un millier d’hectares actuellement.
Des puits de plus en plus profonds
Le désert occidental d’Irak, qui chevauche la province de Najaf, abrite dans ses profondeurs une partie des réservoirs stratégiques d’Al-Dammam et Oum al-Radhuma, s’étendant sous l’Arabie saoudite et le Koweït qui ont aussi exploité ces ressources. (...)
Dès 2013, l’ONU reconnaissait que les réserves de ces deux bassins s’épuisaient.
Avec une "extraction à grande échelle des eaux souterraines pour l’irrigation", l’Arabie saoudite s’est hissée dans les années 1990 au rang de sixième exportateur mondial de blé, selon un rapport de l’ONU en 2023.
Cette surexploitation massive a épuisé plus de 80 % des ressources, contraignant le royaume à arrêter ses cultures de blé en 2016, ajoute ce rapport. (...)
Les autorités ne disposent en outre d’aucun chiffre sur les eaux souterraines de l’Irak, les dernières statistiques publiques remontant aux années 1970, dit-il. "Sans estimations, on ne peut pas gérer nos ressources", résume l’expert. (...)
"Une sécurité alimentaire durable ne peut jamais être assurée avec des eaux souterraines. Cette ressource, accumulée au cours de milliers d’année, est limitée", souligne-t-il.
Il plaide pour l’exploitation des nappes phréatiques uniquement "en cas d’urgence, pendant les sécheresses" et non "pour une expansion commerciale des terres agricoles". Or, regrette-t-il, "c’est le cas aujourd’hui."