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Piratage de France Travail : la direction avait été alertée sur une faille de sécurité
#données #cyberattaques #piratages #FranceTravail #controle
Article mis en ligne le 29 mai 2024
dernière modification le 25 mai 2024

En mars 2024, France Travail a été victime du plus grave piratage de son histoire. Les hackeurs ont accédé aux données de 43 millions de demandeurs d’emploi. L’organisme avait pourtant été alerté de la possibilité de ce scénario.

C’est la plus importante cyberattaque de l’histoire de France Travail et même l’une des plus graves à l’échelle française, en termes de quantité de données compromises. Le piratage ayant visé l’ex-Pôle Emploi en début d’année a permis aux hackeurs d’accéder à 43 millions d’identités. Celles-ci comprenaient : nom, prénom, adresse, courriel, numéro de téléphone et numéro de sécurité sociale (mais pas les mots de passe des personnes inscrites, ni leurs coordonnées bancaires, précise l’organisme). Un véritable bottin à ciel ouvert comprenant plus de la moitié des Français.
Cap emploi : un cheval de Troie

Les pirates n’ont pas attaqué directement France Travail. Ils sont passés par un intermédiaire, en l’occurrence Cap emploi. Cet organisme, qui accompagne les personnes handicapées dans la recherche d’un travail, est devenu récemment un partenaire de France Travail. (...)

Les hackeurs ont usurpé l’identité de deux agents de Cap emploi. "On ne sait pas encore comment, mais ils ont eu accès à leur nom, prénom et identifiant", explique Franck Denié, directeur général adjoint en charge du système d’information de France Travail. Néanmoins, indique le directeur, "ils avaient connaissance de notre mécanisme de support pour renouveler les mots de passe". (...)

France Travail avait été alerté

Mais ce que révèle l’enquête de la cellule investigation de Radio France, c’est que la direction de France Travail avait été alertée de la possibilité d’un tel scénario d’attaque dès 2022. Dans le cadre du projet d’un rapprochement entre France Travail et Cap emploi, les services informatiques de France Travail avaient réalisé un document d’analyse de risque qui avait très précisément identifié cette faille (...)

L’existence de ce rapport a été révélée par la CGT Pôle emploi, et nous a été confirmée par la direction de France Travail. Il préconisait d’avoir recours à une procédure de double authentification. Mais ce système n’a pas été mis en place assez vite.

Pourquoi France Travail n’a-t-il pas réagi plus tôt ? (...)

France Travail avait alors besoin d’équiper en smartphones les agents de Cap emploi, devait les former et déployer des adresses e-mail normalisées, explique-t-on. Autant de prérequis qui n’étaient pas réunis au moment de l’attaque. L’agence précise cependant que la double authentification était déjà en place pour les salariés de France Travail, et qu’elle a été étendue aux collaborateurs de Cap Emploi une fois le piratage constaté (...)

Une rapidité hélas trop tardive.
Une intrusion qui a duré

Mais un autre aspect de cette affaire interroge. Selon le communiqué de la procureure de la République publié le 19 mars (six jours après l’annonce de l’attaque), l’intrusion des pirates aurait eu lieu du 6 février au 5 mars 2024 inclus. Les hackers auraient donc pu agir à leur guise, sans être inquiétés pendant un mois. Interrogé sur ce point, France Travail apporte des éléments nouveaux. (...)

L’opérateur dit avoir repéré - a posteriori - une première intrusion le 6 février. (...)

nouvelle intrusion se serait produite le 29 février, déclenchant cette fois des alarmes informatiques en raison d’un transfert massif de fichiers, que France Travail estime aujourd’hui à environ 25 gigaoctets.

L’agence reconnaît que ce volume correspond peu ou prou à l’intégralité de cette base de données, mais qu’un doute subsiste sur le fait que les pirates aient effectivement réussi à la siphonner entièrement. Il est possible qu’ils n’aient réussi à en dérober qu’une partie (...)

Trois jeunes hommes "sans histoire"

Le 19 mars 2024, le parquet de Paris a annoncé l’arrestation et la mise en examen de trois jeunes hommes de 21, 22 et 23 ans. Ils sont poursuivis pour "accès et maintien frauduleux dans un système de traitement automatisé de données, extraction de ces données, escroquerie et blanchiment, aggravé par la circonstance de bande organisée". Les enquêteurs de la BL2C (Brigade de lutte contre la cybercriminalité, qui dépend de la préfecture de police de Paris) ont pu remonter, grâce aux traces laissées par les pirates, jusqu’à leurs téléphones, leur ordinateur, et finalement les localiser. (...)

Durant les jours qui ont suivi la révélation de la cyberattaque, des inconnus ont publié des messages sur des forums spécialisés, proposant de vendre la base de données dérobée à France Travail. (...)

En cherchant sur des sites facilement accessibles, ainsi que sur le deep web et le dark web, nous n’avons pas trouvé trace de la base de données. L’intrusion a donc bel et bien eu lieu, mais rien ne permet de conclure que ces données sont dans la nature.
Des précédents

Notre enquête révèle par ailleurs que France Travail n’en est pas à sa première cyberattaque. Au moins deux autres piratages ont visé l’organisme ces dernières années, posant là aussi la question de sa responsabilité. (...)

"On peut quand même s’interroger sur la suffisance des mesures de sécurité, questionne aujourd’hui Léah Perez, consultante en protection des données pour la société Trustem, "puisque ces extractions massives n’ont pas éveillé les soupçons en interne, malgré leur caractère répété sur plusieurs années, et souvent en dehors des heures de travail du salarié". Elle constate aussi que "le salarié avait accès à un très grand volume de données sur son poste de travail, ce qui pose question également." (...)

Des données proposées à 900 dollars

Mais l’affaire ne s’arrête pas là. En août 2023, on apprend que France Travail a été visé par une autre cyberattaque. Cette fois-ci, les données d’un peu plus de 10 millions de demandeurs d’emploi ont été volées et mises en vente sur des forums de hackers. La fuite comprend des noms, des prénoms et des numéros de sécurité sociale. Le journaliste spécialisé en cybersécurité Damien Bancal, aussi connu sous son pseudo Zataz, repère même des petites annonces en ligne : "Un pirate informatique déclare avoir deux fichiers Pôle emploi. Il les commercialise alors aux alentours de 900 dollars, avant de baisser le prix à 700 dollars." (...)

La plainte déposée par France Travail et Majorel a été classée sans suite. France Travail affirme toutefois que des audits de sécurité ont été menés, et que leurs préconisations finiront d’être mises en place en juin 2024. De son côté, Majorel affirme avoir, depuis cette fuite, investi 1,5 million d’euros en cybersécurité (voir l’intégralité des réponses de Majorel en bas de cette page).
Des sites potentiellement vulnérables

Il est toutefois toujours permis de s’interroger sur le niveau de préparation de France Travail face aux cybermenaces. Pour savoir si l’opérateur présentait encore des vulnérabilités, nous nous sommes mis dans la peau d’un hacker avec l’aide de Nicolas Hernandez, fondateur et dirigeant de la société Aleph Networks, spécialisée en cyberintelligence. En nous connectant au site principal (francetravail.fr), Nicolas Hernandez a vite repéré des anomalies. (...)

Nicolas Hernandez a également détecté des sites anciens, remontant parfois jusqu’à 2016, avec des mises à jour qui ne semblent plus correctement effectuées. "Pour un pirate, tout cela est une aubaine. Cela peut lui donner envie d’essayer d’entrer." En février dernier, un autre expert en cybersécurité - Olivier Laurelli, alias Bluetouff sur X (ex-Twitter) - avait lui aussi alerté France Travail d’une faille sur son site internet (...)

En tout état de cause, France Travail rappelle que le mode opératoire de la cyberattaque de 2024 n’était pas en lien direct avec son propre site internet.

De possibles arnaques

Quoi qu’il en soit, ce type de piratage présente des risques, et notamment celui du phishing, qu’on appelle "hameçonnage" en français. Il s’agit de ces messages frauduleux que l’on reçoit désormais fréquemment par SMS ou par mail, dans lesquels un escroc tente de se faire passer pour ce qu’il n’est pas : une banque, un service de livraison... Ou ici, France Travail. (...)