
Un viol commis sur l’avatar d’une femme équipée d’un casque de réalité virtuelle ou dans un jeu vidéo doit-il être puni comme s’il était réel ? À l’heure où ces violences augmentent, des chercheurs jugent impératif de s’emparer du sujet. Décryptage.
Embrasser de force les femmes de son équipage spatial, torturer l’une d’entre elles en faisant disparaître son visage… Sorti en 2017, l’épisode de la saison 4 USS : Callister de la série Black Mirror (disponible sur Netflix) narre l’histoire de l’affreux Robert Daly, créateur d’un jeu vidéo révolutionnaire dans lequel il imagine des clones de ses salariés pour commettre sur eux des abus. À l’époque, on a comparé ce tyran de fiction au célèbre producteur de cinéma Harvey Weinstein, devenu le visage honni du mouvement #MeToo. Quelques années plus tard, alors que la suite de l’épisode, diffusée dans la saison 7, brouille encore plus la frontière entre virtuel et réel, la question des violences sexistes et sexuelles (VSS) commises dans le métavers fait irruption dans la réalité et interroge le cadrage juridique des univers virtuels.
L’année dernière, la police britannique a ainsi enquêté sur une affaire de viol collectif perpétré sur l’avatar d’une adolescente de 16 ans, alors équipée d’un casque de réalité virtuelle. Malgré l’absence de séquelles physiques, les enquêteurs ont jugé que le traumatisme psychologique subi par la victime était similaire à celui d’un viol commis dans le monde réel. Une première au Royaume-Uni… et une histoire loin d’être anecdotique, au vu de la popularité croissante des expériences vidéoludiques. Roblox, mastodonte du genre, comptait par exemple 380 millions d’utilisateurs en 2024, dont une part importante de mineurs. « Alors que nous passons de plus en plus de temps dans des mondes virtuels, les cas de harcèlement et d’abus sexuels augmentent eux aussi, explique la chercheuse britannique Clare McGlynn. Mais dans la plupart des pays, les lois sont inadaptées pour faire face à ce qui risque d’être un tsunami d’abus au cours des prochaines années. »
Les avatars doivent-ils être protégés juridiquement au même titre que les humains ? Professeure de droit à l’université de Durham, la chercheuse britannique s’est récemment penchée sur la question dans un article publié dans l’Oxford Journal of Legal Studies. Elle prédit que « de la même manière que nous avons intégré Internet et le smartphone à notre quotidien, nos avatars feront bientôt partie intégrante de nous-mêmes, devenant une véritable extension de notre être physique ». Comme d’autres chercheurs, elle estime nécessaire d’anticiper ces bouleversements et de repenser notre rapport au virtuel, notamment à travers le langage juridique.
En écho à l’usage du terme « culture du viol » popularisé dans les années 1970 et à la tradition de la recherche sur les violences sexuelles, Clare McGlynn propose en effet de commencer par nommer les VSS commises dans le métavers. D’où le concept de meta-rape (« viol méta »), destiné à donner un caractère vraiment tangible à des actes « souvent banalisés et insuffisamment pris en compte ». Elle explique que lorsque l’on parle de métavers, « nous avons tendance à utiliser des expressions telles que “viol virtuel”, mais cela minimise l’expérience de la victime, bien réelle ». (...)
« Les géants de la tech facilitent et laissent faire ces violences car elles en tirent profit en matière de revenus publicitaires ».
Clare McGlynn, professeure de droit à l’université de Durham (Royaume-Uni) (...)