
L’économiste vient de recevoir l’un des prix les plus prestigieux décernés dans sa discipline. Pourfendeur de la taxe Zucman, il a été un mentor de la politique néolibérale d’Emmanuel Macron menée au nom de l’innovation. Un échec.
L’économisteL’économiste français Philippe Aghion, professeur au Collège de France, vient de recevoir, aux côtés de deux de ses pairs états-uniens, Joel Mokyr et Peter Howitt, le prix de la Banque de Suède en sciences économiques en mémoire d’Alfred Nobel, « pour avoir expliqué la croissance économique tirée par l’innovation ». Un sacré coup de projecteur sur leurs œuvres respectives.
Philippe Aghion et Peter Howitt ont notamment été récompensés pour leurs travaux sur le concept de « destruction créatrice » développé par l’économiste autrichien Joseph Schumpeter ( 1883-1950 ), qui dit en somme que les nouvelles entreprises innovantes sont amenées à remplacer les rentes des plus anciennes.
Philippe Aghion et Peter Howitt avaient écrit ensemble un article sur ce thème au début des années 1990. Le comité Nobel a précisé qu’il récompensait les économistes pour avoir expliqué que « lorsqu’un produit nouveau et meilleur arrive sur le marché, les entreprises qui vendent les produits plus anciens sont perdantes ». (...)
À peine son prix était publiquement annoncé que les félicitations à l’endroit de Philippe Aghion ont plu jusqu’en haut lieu (...)
Il est, du reste, peu surprenant que le chef de l’État se soit réjoui aussi promptement pour Philippe Aghion, qu’il a par ailleurs élevé le 6 octobre dernier au grade d’officier de l’ordre national du Mérite. En effet, Philippe Aghion a certainement été l’économiste vivant qui a le plus inspiré la vision économique du chef de l’État. (...)
À Challenges, Philippe Aghion racontait qu’Emmanuel Macron avait « tout de suite fait preuve d’une vraie volonté de comprendre l’économie et notamment les nouvelles théories sur la croissance, il est beaucoup venu à la maison pour étudier ».
Puis ils se sont mis discrètement au service de la campagne électorale de François Hollande en 2011, quand Emmanuel Macron était banquier d’affaires chez Rothschild, avant de conseiller le chef de l’État socialiste, une fois élu, dans son virage vers la politique de l’offre. (...)
ses plus précieux concepts.
Ceux de la « destruction créatrice » et de « l’innovation » – qui lui ont permis de conquérir son « Nobel » – faisaient alors fortement écho au mantra politique d’Emmanuel Macron, qui se présentait comme le tenant d’un « nouveau monde » libéral, « ni de droite ni de gauche », qui remplacerait un « vieux monde » de rentiers de la politique. Une fable qui a fait long feu.
Sur le terrain économique aussi, les travaux de Philippe Aghion – qui a un temps cru à la théorie du ruissellement – ont inspiré Emmanuel Macron afin, promettait-il, de « libérer le processus de destruction créatrice ». Il fallait alors réduire les interventions directes de l’État, via l’impôt notamment, dans le processus de « destruction créatrice » qui ne pouvait qu’être le produit du travail de l’entrepreneur innovant.
Innovation à tout prix
À peine arrivé à l’Élysée, en 2017, Emmanuel Macron a ainsi flexibilisé le marché de l’emploi via les ordonnances travail, puis il a baissé la fiscalité du capital en supprimant l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) et en réduisant l’imposition des revenus du capital à une flat tax de 30 %. Or on sait désormais l’échec de cette politique de l’offre qui n’a pas généré la croissance escomptée et a creusé les déficits publics.
Philippe Aghion a pourtant défendu bec et ongles ces réformes les années suivantes, par exemple en intervenant publiquement pour expliquer que les rapports du comité d’évaluation de la fiscalité du capital de France Stratégie – qui ne voyaient pas d’effet de la suppression de l’ISF et de la flat tax sur l’investissement et l’emploi en France – sous-estimaient certainement l’efficacité des réformes. (...)
Pour Philippe Aghion comme pour Emmanuel Macron, la fonction sociale de l’État n’est en fait pas de construire de la solidarité ou un quelconque équilibre entre travail et capital, mais bien plutôt d’accompagner le changement lié à la « destruction créatrice ». (...)
En social-libéral convaincu, Philippe Aghion s’est toutefois détourné d’Emmanuel Macron quand celui-ci a commencé après 2022 à pactiser avec la droite réactionnaire, critiquant dans Libération en 2024 « une dérive vers la droite » et un pouvoir « vertical ». L’économiste a par ailleurs expliqué que « des hausses d’impôts ne devaient plus être un tabou », contrairement à ce qu’a toujours dit le chef de l’État.
Mais point trop n’en faut : Philippe Aghion a été l’un des principaux pourfendeurs de la taxe Zucman, qui propose d’instaurer un taux plancher de 2 % par an sur les patrimoines supérieurs à 100 millions d’euros. « Tu transformes la France en prison fiscale », a-t-il envoyé à l’économiste Gabriel Zucman, qui porte la proposition, lors d’un débat dans Challenges. Pour justifier sa saillie, Philippe Aghion donne toujours le même argument : « Ne pas brider l’innovation. »