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Mediapart
En pactisant avec Shein, le sulfureux patron du BHV s’est tiré une balle dans le pied
#BHV #Shein #BanquedesTerritoires
Article mis en ligne le 14 octobre 2025
dernière modification le 9 octobre 2025

Connu pour ses pratiques financières cavalières, Frédéric Merlin est en train de tout perdre depuis qu’il a annoncé introduire des boutiques Shein dans ses rayons. La Banque des territoires, partenaire financier décisif, vient de le lâcher. Les marques fuient et les salariés du BHV vont faire grève.

C’est la (grosse) goutte d’eau qui a fait déborder le vase. L’annonce, le 1er octobre 2025, d’un partenariat entre le géant chinois du prêt-à-porter en ligne Shein et la Société des grands magasins (SGM), propriété du jeune homme d’affaires lyonnais de 34 ans Frédéric Merlin – qui détient les fonds de commerce du Bazar de l’Hôtel de Ville (BHV) dans le centre de Paris et de cinq Galeries Lafayette à Angers, Dijon, Grenoble, Limoges et Reims – risque de lui coûter très cher.

En effet, Shein jouit d’une réputation catastrophique en Europe. Déjà condamnée à des amendes pour pratiques commerciales trompeuses, la plateforme chinoise, qui réalisait en 2024 2,3 milliards d’euros de chiffre d’affaires en France, est accusée de tuer le commerce physique.

En plus de ne quasiment pas payer d’impôts en France, il lui est reproché de ne vendre que des vêtements jetables à prix extrêmement bas, à l’empreinte environnementale déplorable et contenant des matières potentiellement dangereuses pour la santé des consommateurs et consommatrices. Le tout produit par des personnes employées dans des conditions de travail épouvantables. (...)

Selon les termes de l’accord annoncé, les grands magasins de Frédéric Merlin (qui n’a pas donné suite aux sollicitations de Mediapart) vont accueillir d’ici quelques semaines dans leurs étages plusieurs boutiques Shein. La marque chinoise voit là une opportunité inespérée d’investir le marché français physique du prêt-à-porter. Au BHV, un espace d’environ 1 000 mètres carrés au sixième étage lui est, à ce stade, réservé. (...)

Ce partenariat sulfureux est surtout un énorme coup de com’ destiné, comme Frédéric Merlin l’a avoué fièrement au Parisien, à « créer le buzz ». Il a certes en partie réussi son coup, obtenant moult articles dans la presse généraliste, et se retrouvant même invité sur des plateaux de télévision prestigieux. Cependant, le « buzz » qu’il recherchait tant est en train de se retourner contre lui.

Départ des marques, grève des salariés et retrait des financiers (...)

Résultat, selon nos informations, le chiffre d’affaires du BHV s’effondre : de − 30 % en juillet-août 2025 par rapport à la même période de 2024, qui était déjà très mauvaise à cause de la tenue des Jeux olympiques qui avaient fait fuir les client·es habituel·les du grand magasin.

Également choqué·es par l’annonce du partenariat avec Shein, les salarié·es du BHV vont emboîter le pas des marques. Les syndicats comptent ainsi lancer une grève vendredi 10 octobre dans l’après-midi. « Il y a un ras-le-bol général : ça fait deux ans que nous subissons les annonces de Frédéric Merlin. Lui, c’est un bélier : il fonce tête baissée, sans jamais être à l’écoute des salariés. L’humain est tout sauf une priorité pour lui », détaillent des membres de l’intersyndicale à Mediapart. (...)

C’en est trop pour la Banque des territoires, qui s’est fendue mercredi 8 octobre d’un communiqué assassin dans lequel elle « annonce la fin des négociations avec la SGM visant à la création d’une foncière commune pour le rachat des murs du BHV Marais ». Elle souligne que le modèle de Shein « ne correspond pas aux valeurs et à la doctrine d’action de la Banque des territoires » et regrette d’avoir « pris connaissance de ce partenariat par voie de presse, sans aucune information préalable, entraînant en conséquence une rupture de confiance entre les deux parties ».

Face à l’association des journalistes économiques et financiers (Ajef), le directeur général du groupe Caisse des dépôts, Olivier Sichel, a précisé le 9 octobre les raisons du retrait de la Banque des territoires de l’opération : « La SGM allait être le cheval de Troie de Shein en France, et cela ne correspondait pas à nos valeurs. Il n’a jamais s’agi pour nous de subventionner Frédéric Merlin. Or sur Shein, concernant l’impact sociétal et environnemental, il a tout faux ». (...)

Merlin acculé

Sans ce soutien financier, Frédéric Merlin se retrouve en grande difficulté. Mais il ne se démonte (toujours) pas. « Le projet de rachat des murs » du BHV « se fera », a assuré le 8 octobre la SGM à l’AFP, évoquant « d’autres partenaires ».

Frédéric Merlin y est même allé de sa pique envers la banque publique. (...)

On attend de connaître l’identité de ces « partenaires ». Mais une chose est sûre : ils devront être sacrément solides financièrement. Car la Banque des territoires était jusqu’ici la seule structure à apporter des fonds propres robustes dans cette affaire. (...)

Bref, Frédéric Merlin se retrouve acculé par sa folie des grandeurs. Certes, le jeune écornifleur de l’immobilier commercial, qui se prétend improprement « commerçant » sur les plateaux de télévision, jurera qu’il dispose de solides partenaires bancaires, et que tout est quasiment signé avec eux. Il procède toujours ainsi.

Hélas pour lui, il est de moins en moins pris au sérieux par la Place de Paris. Sauf peut-être par l’ancien chef de l’État condamné Nicolas Sarkozy, qui l’a honoré de sa présence au mois de juin avec quelques convives lors d’un déjeuner, révélé par La Lettre. Mais hormis de rares exceptions, Merlin n’enchante plus personne.