
(...) Larissa Mies Bombardi : Je cite longuement Marx dans mon livre, car il montre bien comme le pillage de l’Amérique du Sud a été primordial dans les débuts du capitalisme. Le colonialisme chimique répète le colonialisme classique avec l’apparence de la démocratie, avec l’aide de conventions mondiales [trois conventions mondiales existent au sujet des substances toxiques : celles de Stockholm, de Rotterdam et de Bâle, ndlr] qui dissimulent les inégalités entre les pays et les blocs.
Cette structure réglementaire légalise les inégalités et je compare souvent la situation actuelle avec l’exemple de l’esclavage : réduire des humains en esclavage semblait intolérable pour une grande partie des sociétés européennes du 18e siècle, mais néanmoins, des entreprises de ce même continent étaient impliquées dans la traite esclavagiste.
Aujourd’hui, en Europe, certains pesticides sont interdits, mais exportés en même temps à l’étranger. Il en va de même pour les limites maximales de résidus de pesticides, qui sont beaucoup plus faibles en Europe qu’ailleurs. Le colonialisme se retrouve aussi sous d’autres aspects. Des populations autochtones sont toujours massacrées, par exemple au Brésil, et leurs terres dévastées. Les pesticides sont ici parfois utilisés comme des armes chimiques, mais aussi pour intimider ou expulser des paysans autochtones de leurs terres. (...)
Aujourd’hui, dans le capitalisme mondial, la production agricole n’est plus synonyme d’aliments. Le Brésil est devenu une espèce de machine à produire des marchandises et de l’agroénergie [le premier importateur de produits agricoles brésiliens est la Chine, ndlr]. Des tradings, des sociétés de négoce, commercialisent ces marchandises sur les bourses internationales de valeur et pour elles, peu importe qu’elles échangent du minerai, du pétrole ou des céréales. Seul le profit compte, il faut boursicoter et jongler avec les valeurs.
Sans action de l’État, on se retrouve dans la situation actuelle : le Brésil est un grand producteur de céréales (à des niveaux records), mais la faim est revenue. Elle est même davantage présente en zone rurale qu’en zone urbaine. Le pays ne cherche donc plus à nourrir sa population. (...)
Les piliers de l’alimentation du Brésil que sont le riz, le haricot noir (fejão) et le manioc ont vu leurs zones de cultures diminuer au profit des produits d’exportation comme le soja. (...)
Pour l’instant, nous n’avons pas de données concernant une éventuelle décroissance de l’usage des pesticides sous Lula. Il n’a pas freiné pleinement l’approbation des nouveaux pesticides et beaucoup ont été validés récemment par les autorités sanitaires du pays. En termes de volumes, les données ne sont pas encore disponibles.
Toutefois, le ministère du Développement, le ministère de la Santé et le ministère du Développement agraire sont aujourd’hui engagés sur la voie de la réduction des pesticides. Lula a par exemple remis sur la table le programme national d’alimentation bio, afin que les écoles s’approvisionnent via des petites exploitations agricoles, et d’autres programmes ainsi orientés sur le bio ou l’agroécologie. Ce sont des initiatives importantes, il faut le reconnaître (...)
très inquiète de voir l’agrobusiness européen travailler main dans la main avec les grandes multinationales chimiques pour faire pression afin d’affaiblir les législations environnementales. C’est très mauvais pour le continent européen mais aussi pour le reste du monde. (...)
Dans votre livre, vous défendez qu’il ne peut y avoir d’agroécologie sans féminisme. C’est-à-dire ?
Déjà, les femmes sont affectées différemment par les pesticides. Physiquement dans un premier temps, car elles ont plus de graisse dans le corps et que justement certains pesticides se fixent sur les graisses et provoquent par exemple des fausses couches, entraînent des malformations fœtales. L’autre aspect est émotionnel, car elles doivent gérer cela dans leur propre corps. Aussi, le patriarcat historique implique que ce sont les femmes qui auront la charge de s’occuper du bébé malade, d’elles-mêmes en cas de maladie, ou encore du mari souffrant, des anciens... (...)