Bandeau
mcInform@ctions
Travail de fourmi, effet papillon...
Descriptif du site
Basta !
« Parmi les marchands de sommeil, on ne retrouve que des catégories sociales supérieures »
#logements #AbbePierre
Article mis en ligne le 16 octobre 2023
dernière modification le 14 octobre 2023

Pour la Fondation Abbé Pierre, la construction de logements sociaux est un élément clé de la lutte contre l’habitat indigne. La fondation dénonce aussi une certaine lenteur de la justice face aux marchands de sommeil.

Basta ! : L’un des plus grands marchands de sommeil de Grigny, propriétaire de 40 appartements dont certains loués à la découpe, est un ingénieur informaticien aux revenus confortables. Quels sont les profils des marchands de sommeil ?

Éric Constantin : Parmi les marchands de sommeil, on ne retrouve quasiment que des catégories sociales supérieures, des personnes avec des revenus confortables. Une fois qu’on a dit ça, les profils sont très variés : on a eu affaire à des dentistes, des avocats… En Île-de-France, il s’agit principalement de personnes qui ne possèdent qu’un seul logement qu’ils louent dans des conditions dégradées. Les multipropriétaires comme à Grigny sont plus rares.Il s’agit de personnes qui bénéficient de conseils juridiques, connaissent très bien la législation et comment la contourner. (...)

Le marché en Île-de-France est suffisamment tendu pour que tout se loue, même si ce n’est pas légal. Les logements dégradés, trop petits trouvent preneurs par les plus précaires. Les personnes d’origine étrangère qui suivent des filières de regroupement tombent souvent dans les griffes des marchands de sommeil. Les jeunes aussi sont vulnérables face aux pratiques abusives de certains propriétaires. On observe que beaucoup d’étudiants et de jeunes actifs ont intégré le fait que louer un petit logement très cher était un passage obligé. Ils ne se lancent que très rarement dans des procédures contre leurs bailleurs peu scrupuleux. Enfin, les familles monoparentales, où c’est souvent la mère qui s’occupe des enfants, sont une cible privilégiée pour les marchands de sommeil. (...)

On retrouve d’importantes poches d’habitat indigne en Seine-Saint-Denis, dans Paris et plus généralement dans toute la petite couronne. Bref, partout où il y a du bâti ancien. (...)

On a combattu les marchands de sommeil en Seine-Saint-Denis, et maintenant ils arrivent dans le reste de l’Île-de-France. Bien conseillés, ils vont acheter là ou ils vont être tranquilles et où les pouvoirs publics ne s’y attendent pas, jusque dans l’Oise (...)

les programmes de renouvellement urbain organisent la destruction de logements sociaux, souvent ceux à plus bas loyer, qui sont pourtant actuellement les plus demandés. À la place, on reconstruit des logements sociaux à plus haut loyer. Sur ces dix dernières années, on a perdu 14 000 HLM à bas loyer. Cette politique est d’autant plus questionnable qu’on ne détruit pas toujours pour des problèmes de vétusté mais davantage pour des raisons sociales. Il y a souvent une volonté des élus locaux d’avoir une nouvelle population. Selon nous, il faudrait élaborer une autre politique, car le logement social est la solution contre le mal-logement. (...)

C’est très difficile de convaincre des victimes de porter plainte, car elles ont peur de perdre le peu qu’elles ont, le toit qu’elles ont sur la tête. Même si elles se décident à aller porter plainte, trois fois sur quatre, le commissariat ne la prendra pas, et ça finira en main courante. (...)

Ensuite, la longueur et le coût des procédures finit de décourager les personnes qui se pourvoient en justice. Les propriétaires font très souvent appel des décisions. En cassation, c’est plusieurs milliers d’euros de frais de justice. Comment voulez-vous que les personnes précaires assument ça ? D’autant plus lorsqu’on est en situation irrégulière et que l’on n’a pas droit à l’aide juridictionnelle. (...)

Une fois les décisions de justice prononcées, encore faudrait-il les faire exécuter. Dans certains cas, des années après la procédure au civil, les propriétaires n’ont toujours pas versé de dédommagements à leurs anciens locataires. Certains fuient à l’étranger. Si la Fondation Abbé Pierre ne suivait pas ce genre de cas, le locataire lambda lâcherait l’affaire.