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Nouvel Obs
Parcoursup est devenu une vitrine publicitaire pour le privé pendant que l’enseignement supérieur suffoque
#parcoursup #selection #inegalites #enseignementsuperieur
Article mis en ligne le 23 janvier 2025
dernière modification le 20 janvier 2025

Au moment où s’ouvre Parcoursup, le sociologue des sciences et député LFI Arnaud Saint-Martin décrit dans cette tribune l’essor du « business honteux » de l’enseignement supérieur privé. Et pointe la responsabilité de l’Etat.

Alors que pas moins de 60 universités sur 75 pourraient se retrouver en déficit d’ici la fin de l’année prochaine, alors que le coût de la vie étudiante augmente, alors que les budgets de la recherche stagnent ou diminuent irrésistiblement d’année en année, la casse de l’université publique permet le colossal essor de l’enseignement supérieur privé lucratif. Un roc, un pic, un cap, une péninsule : jamais ce secteur n’a été si proéminent et si bien portant, engloutissant tout sur son passage, y compris les étudiants les plus précaires qui oseraient s’y aventurer.

Dans l’ambiance dynamique et pédante des salons d’orientation pour étudiants, les stands (al) loués aux formations privées (qu’elles paient parfois une petite fortune) fleurissent et se multiplient, se mêlant astucieusement aux formations publiques, en en arborant les mêmes insignes et les mêmes sigles, ne formant qu’un immense essaim d’hypothèses de chemins de vie, dans lequel il est de plus en plus aisé de se faire piquer. Les formations privées les plus obscures dépensent une petite fortune pour être présentes à ces salons, tout comme elles le font sur la plateforme de désorientation et de sélection qu’est Parcoursup.

En quatre ans, le nombre de formations privées a doublé, passant de 4 992 formations en 2020 à 9 298 aujourd’hui. Le nombre de formations publiques n’a, quant à lui, augmenté que de 15,3 % au cours de la même période. (...)

Un quart des étudiants est inscrit dans un établissement d’enseignement supérieur privé.

Rassurons-nous collectivement : les étudiants n’y sont pour rien. C’est, comme toujours, l’Etat qui organise minutieusement et financièrement la casse du public, et l’essor collatéral du privé, en oubliant sur son passage la nécessité de contrôle, l’impératif de pédagogie, la probité, l’intégrité académique, au bénéfice du profit, des grosses entreprises, et de la casse tant attendue de l’université privée par les libéraux. (...)

Les ravages sont nombreux. La DGCCRF a enquêté sur 80 établissements privés de ce type, et ses constats sont alarmants : 56 % des établissements contrôlés présentent des anomalies sur au moins un point de la réglementation : prix promotionnels mensongers, arnaques, diplômes bidons, et poudre aux yeux. C’est de la fraude organisée. Certaines formations qui ne sont pas enregistrées sur le marché Parcoursup parce qu’elles ne sont pas homologuées choisissent d’aller dans le même sens, et en pire. (...)

Faux diplômes et labels bidons (...)

Le secteur du privé est dominé par les cinq grands groupes : Galileo Global Education (qui a eu l’« honneur » d’un reportage de « Complément d’enquête », et dans lequel Muriel Pénicaud a pantouflé après leur avoir largement facilité la réforme de l’apprentissage), Omnes, EduServices, Eureka et Ionis. Ces établissements vendent à prix d’or des formations en faisant miroiter des diplômes de qualité. Les familles et les futurs étudiants, rassurés par l’utilisation des appellations AOC « République française », « diplôme universitaire », « reconnu par le rectorat », ou « labellisé » s’y inscrivent, payent, et se prennent un mur. Parce qu’il n’en est rien. Ces faux diplômes n’ont rien d’universitaire, ont des labels bidons, parfois loués, et ces formations n’ont rien à voir avec la République, si tant est qu’on omet le fait qu’elles sont largement soutenues et encouragées par son président. (...)

Il faut créer des homo œconomicus en série, serviles et corvéables par les stages et l’alternance, et bientôt l’auto-entrepreneuriat. Pour atteindre cet objectif, les chargés d’affaires ESR font financer des formations qui permettent d’employer les jeunes rapidement, et si possible, à moindres frais pour les entreprises. C’est là qu’arrive Emmanuel Macron et ses promesses inédites sur l’apprentissage. Il choisit, avec l’appui de son gouvernement, de dépenser des milliards au service d’un patronat qui n’en demandait pas tant. Macron réinvente la fordisation de l’enseignement supérieur en marche forcée. (...)

Des écoles privées fonctionnant uniquement sur les subventions publiques dédiées à l’apprentissage se développent partout en France. On le constate à Bordeaux, par exemple. Beaucoup d’écoles déjà installées notamment en région parisienne ont ouvert des nouveaux campus à Bordeaux depuis 2018. Sur les 93 écoles référencées à Bordeaux, 59 écoles sont apparues depuis 2017, soit 61 % d’entre elles. (...)

L’enseignement supérieur public, lui, suffoque. Et c’est le résultat d’années de réformes en faveur du privé, de France compétences, des lois facilitant l’apprentissage, et de la destruction de la recherche publique. Les fausses réponses du gouvernement, qui veulent rajouter label sur label, qui font mine d’augmenter le budget de l’ESR alors qu’il ne compense pas l’inflation et se perd dans des dispositifs de contrôle des chercheurs comme l’ANR ou le Hcéres, qui veulent créer un nutriscore de l’ESR, préférant ainsi mettre en concurrence les formations entre elles plutôt que de s’attaquer au cœur du problème, échouent à masquer leur inaction sur le sujet. Bien au contraire, elles démontrent la participation active du gouvernement et du chef de l’Etat à cette mascarade, à ce scandale d’Etat, qui tente par tous les moyens de se caler sur un modèle fantasmé états-unien, dont on peine à comprendre en quoi il est censé donner envie. (...)