Quatre ans après l’agression du producteur de musique, l’enquête est terminée et plusieurs éléments pulvérisent la version des policiers qui disaient avoir été blessés par Michel Zecler. « J’ai la main gonflée parce que j’ai tapé le mec », confesse ainsi l’un d’entre eux dans un message consulté par Mediapart.
C’était il y a quatre ans. Le 21 novembre 2020 dans le XVIIe arrondissement de Paris, le producteur de musique Michel Zecler, 45 ans, est roué de coups par trois policiers lors d’un contrôle. Les agents l’ont suivi, ont pénétré illégalement dans son studio et l’ont tabassé. Neuf jeunes également présents au sous-sol du studio étaient parvenus à repousser les policiers dehors et mettre fin à cette première longue séquence de violences.
Une fois à l’extérieur, Michel Zecler et certains jeunes sont de nouveau frappés avant d’être amenés au commissariat. Il est accusé d’avoir voulu échapper au contrôle, d’avoir frappé à de nombreuses reprises les trois policiers et d’avoir tenté de prendre leurs armes. Le producteur est placé en garde à vue et les policiers portent plainte contre lui. Ils ignorent alors que tout a été filmé.
Les images de la caméra installée dans le studio, révélées à l’époque par Loopsider (voir Boîte noire), pulvérisent la version policière. Grâce à elles, le producteur gravement blessé avec plus de 45 jours d’ITT et un tendon sectionné, est remis en liberté. Il porte plainte et accuse deux des trois policiers de l’avoir traité de « sale nègre ». Dans la foulée, Emmanuel Macron promet des mesures pour lutter contre le racisme dans la police et admet pour la première fois qu’il existe en France des « violences policières ». (...)
Quatre ans après, les investigations des juges d’instruction sont terminées et le parquet doit prochainement rendre son réquisitoire définitif. Quelle est la version des policiers mis en cause sur les violences, le faux en écriture publique ou les propos racistes ? Mediapart dévoile leur défense et des éléments qui la fragilisent encore : des messages WhatsApp dans lesquels un policier se vante notamment d’avoir « défoncé » Michel Zecler ou ceux d’un autre qui confie ne pas avoir été blessé par le producteur, mais par les coups qu’il lui a lui-même portés. (...)
40 coups et un PV totalement mensonger
Confrontés aux images, les policiers reconnaissent devant l’IGPN et devant les juges d’instruction que leur PV d’interpellation n’est pas complet mais affirment qu’il n’est pas mensonger. L’enjeu est de taille puisque le faux en écriture publique est passible de la cour criminelle. Les enquêteurs de l’IGPN sont pourtant catégoriques : sur les images, Michel Zecler résiste, mais ne porte « aucun coup ».
Les trois agents, eux, lui en infligent au moins une quarantaine dont seize au niveau du visage ou de la tête. Avant d’être interpellé et, alors qu’il est immobilisé à l’extérieur du studio, Michel Zecler est de nouveau frappé une dizaine de fois par Aurélien L., sous les yeux de huit policiers totalement passifs. (...)
Au fur et à mesure des auditions, certains des mis en examen changent de version et expliquent qu’Aurélien L. a rédigé seul ce PV. (...)
Finalement, Philippe T. admet n’avoir « pas vu » Michel Zecler tenter de saisir une arme ou sortir un objet de sa sacoche. (...)
Dans leur PV, les trois policiers disaient avoir essuyé une pluie de coups. Devant les juges, ils font volte-face. (...)
« On l’a défoncé mais le mec il sentait rien c’était ouf, écrit-il à ses collègues. Là on est emmerdés parce qu’il a un bon avocat. »
Le 26 novembre, juste après la médiatisation de l’affaire et l’ouverture de l’enquête IGPN, le supérieur des trois policiers « les soutient » ouvertement et prévient : « Pour communiquer avec moi, le major ou entre vous, utilisation de WhatsApp. Pas de sms ou d’appels. »
Un autre policier écrit à Aurélien L. : « Quand ils te demanderont des trucs vraiment précis ba là faudra rester vague. Du genre je me rappelle plus exactement c’était la foire d’empoigne etc... ça évite de dire des conneries ou des mensonges. Surtout ne parle pas de l’intervention au téléphone. Possibilité d’être sur écoute. »
Lors de l’enquête, le mis en cause semble suivre ces conseils à la lettre. (...)
Le contenu de leur téléphone permet aussi de douter de la réalité des blessures que Michel Zecler est censé leur avoir occasionnées. « Yann m’a dit que tu étais un peu amoché », écrit un interlocuteur à Aurélien L. « Non franchement j’ai rien juste une griffure sur le visage, pas grand-chose », répond celui qui a pourtant obtenu deux jours d’ITT. « Ne t’en fais pas, je ne suis pas blessé », précise-t-il aussi à l’une de ses proches.
Des trois policiers, Pierre P. est supposé être le plus gravement blessé avec cinq jours d’ITT. Dans des conversations datées du soir des faits, il admet auprès d’un contact s’être en réalité lui-même blessé : « Oui tkt jai la main gonfle pcq jai tapé le mec ». Interrogés par Mediapart, les trois policiers n’ont pas souhaité donner suite. (...)
Des messages racistes
Depuis le début, Michel Zecler affirme avoir été traité de « sale nègre » à plusieurs reprises et notamment lorsqu’il se faisait frapper par deux des trois policiers. (...)
En attendant la décision des juges, les quatre policiers mis en examen ont été suspendus de la police et certains se sont reconvertis. Aurélien L. est désormais coach sportif et Pierre P., lui, compte devenir pompier volontaire.