
Bis repetita. Trois semaines après l’expulsion en pleine nuit du gymnase Dargent (Lyon 8e), le gymnase Chanfray (Lyon 2e) a été occupé par une centaine de femmes et d’enfants sans-domicile fixe, mercredi 22 mai. En moins d’une heure, les forces de l’ordre ont expulsé les occupant.es. La Ville vise à nouveau les manquements de l’État. Récit.
Mercredi 22 mai. Une petite centaine de femmes et d’enfants en bas âge, sans domicile fixe, occupent le gymnase Chanfray (Lyon 2e). Elles sont accompagnées par certains collectifs, dont le Droit au logement (DAL), le collectif Solidarité entre femmes à la rue ou Jamais sans Toit.
L’objectif : « tirer la sonnette d’alarme sur la situation précaire de ces familles, et exiger la mise à disposition de logements », clame Marjorie Chencinski, membre du collectif Jamais Sans Toit. (...)
Sans-abrisme et expulsion à Lyon : « Tirer la sonnette d’alarme »
Le rendez-vous est fixé à 16h30, sur la place Guichard. Femmes et enfants arrivent au compte goutte, poussettes, cabas et sacs plastique en main. « On espère que ça va mieux se passer que la dernière fois. (...)
Des matelas de sport sont poussés contre les murs. Les femmes s’y allongent, épuisées. Quelques enfants les rejoignent. Certains ont encore de l’énergie et sautent sur les équipements sportifs, rient, gonflent des ballons en forme de cœur ou dessinent sur une nappe en papier, étirée sur le sol. Un moment de répit, à l’abri des dangers de la rue.
Arrivée des forces de l’ordre (...)
« Je pensais que cette fois-ci, notre occupation allait bien se passer. On dirait bien que non, ça recommence » (...)
Un petit groupe de médiation va à la rencontre des forces de l’ordre. À côté, Jean-Stéphane Chaillet, 1er adjoint à la sécurité à la mairie du deuxième arrondissement, s’impatiente.
Il est arrivé il y a quelques minutes, fait des rondes, passe des appels. « Ce n’est pas de la solidarité, c’est de la prise en otage d’équipement public ! », souffle-t-il à une membre du collectif Solidarité entre femmes à la rue.
Expulsion à Lyon : « Où allez-vous nous envoyer ce soir ? » (...)
« Je vous en supplie monsieur le maire, aidez-nous, nous sommes fatiguées. Ayez pitié de nous et de nos enfants, je vous en supplie ». Une autre occupante prend le relais, le regard sombre. « Si vous nous expulsez, où allez-vous nous envoyer ce soir ? La dernière fois, après l’expulsion du gymnase Dargent, j’ai failli être violée à la Guillotière, je ne veux pas que ça recommence ! », lâche-t-elle.
Organismes saturés
« Vous avez essayé d’appeler le 115 ? », demande l’élu ? « Il n’y a jamais de place« , rétorquent les femmes, en cœur. « Vous êtes passées à l’Ofii (L’Office français de l’immigration et de l’intégration) ? », interroge à son tour Jean-Stéphane Chaillet. « Pour ça, il faut attendre des mois, voire des années », clame une occupante. « Et pour le petit, il y a des possibilités d’hébergement d’urgence ? », questionne enfin le maire en pointant du doigt un nourrisson. « Monsieur, nous n’avons rien », conclut la mère de l’enfant. (...)
Les femmes décident de s’asseoir sur le sol et entonnent des chants. « Nous sommes en danger » résonne dans le gymnase. Des enfants entourent les deux élus municipaux. Ils tiennent des pancartes, sur lesquelles sont écrits les récits tortueux de leur arrivée en France, de leur vie dans la rue, de leurs galères.
« Ce que j’aimerais, c’est que tous les protagonistes (la Ville, la Métropole et l’État, ndlr) se mettent autour d’une table pour trouver une solution digne » explique Pierre Oliver. En attendant, les acteurs se renvoient la balle, quand femmes et enfants vivent toujours dans la rue.
Pierre Oliver demande l’expulsion
De son côté, Pierre Oliver a « demandé à ce que le gymnase soit évacué » et ne s’en « cache pas », car « certaines personnes ont payé des séances de sport pour leurs enfants et ne peuvent pas en bénéficier dans cette situation ». Une demande validée par la mairie centrale.
Un avis d’expulsion est signé, l’expulsion ne saurait tarder. « Au gymnase Dargent, nous nous sommes laissées faire, mais cette fois, nous allons voir jusqu’où les policiers sont prêts à aller. Nous allons voir s’ils vont toucher nos enfants et pour ça, nous ne bougerons pas ! », clame une femme, encouragée par ses camarades. (...)
Un vote est organisé : les occupant.es ne partiront pas de leur plein gré. Une vingtaine de policiers encerclent le groupe, assis au milieu du gymnase. Les forces de l’ordre commencent par prendre les poussettes, sacs et autres affaires personnelles des occupant.es pour les mettre à l’extérieur. Et puis, une fois qu’il n’y a plus que des femmes et des enfants dans l’établissement sportif, la force prend le relais.
Expulsion musclée du gymnase Chanfray à Lyon (...)
Les femmes, âgées, malades ou enceintes sont traînées au sol. Les enfants ne sont pas non plus épargnés. Des pleurs, des cris. « Nous sommes fatiguées, nous sommes fatiguées” » répète en boucle une femme, allongée au sol. Il y a quelques jours, Rue89Lyon l’avait rencontrée lors d’un rassemblement organisé par le collectif Solidarité entre les femmes à la rue. Cette mère de deux enfants s’était faite agressée à la gare Part-Dieu deux jours avant notre échange, son fils de 12 ans s’était interposé. (...)
Face à elle, sa fille pleure. La mère de famille sera finalement portée par trois policiers, puis mise dehors, ou des membres du Droit au logement ont organisé un rassemblement de soutien. Non loin, une femme d’un certain âge est traînée au sol. « Elle est malade et âgée ! », prévient une occupante. Rien y fait, les forces de l’ordre persistent. « Vous me faites mal ! », hurle la concernée, impuissante. (...)
Après l’expulsion, l’inévitable retour à la rue à Lyon
Alors que les expulsions de squats et autres bâtiments publics sont fréquentes à Lyon, à l’image du Casse-Dalle le 16 mai dernier, celle du gymnase Chanfray ravive les tensions entre collectifs et la mairie, qui a réagi dans la soirée via un communiqué. (...)
Une fois toutes les occupant.es à l’extérieur, les policiers s’en vont, sous les huées de la foule. (...)
Femmes et enfants repartent, sous la pluie, avec, bourrés dans leurs sacs, leurs rares effets personnels. Tout le monde se rend devant l’Opéra de Lyon pour y passer la nuit. « Un toit, c’est un droit », résonne de nouveau dans les rues. La galère recommence pour ces familles, pour lesquelles aucune solution d’hébergement n’a été proposée.