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Mediapart
Nucléaire : il y a des atomes radioactifs dans votre verre d’eau
#nucleaire #radioactivite #santé
Article mis en ligne le 11 décembre 2024
dernière modification le 9 décembre 2024

C’est une pollution quasi permanente et pourtant invisible : des millions de Français·es avalent de la radioactivité rejetée par les centrales nucléaires en buvant l’eau qui coule de leur robinet. Un peu moins de 10 millions de personnes, environ un·e habitant·e sur sept, vit dans une commune où du tritium, une forme radioactive de l’hydrogène, a été détecté dans l’eau potable au moins deux fois, et à un niveau au moins cinq fois supérieur au bruit de fond, selon une analyse établie par Mediapart et la Commission de recherche et d’information indépendantes sur la radioactivité (Criirad) à partir des données des agences régionales de santé (ARS) (voir en boîte noire).

Certains territoires sont plus exposés que d’autres. « Les grands secteurs dans lesquels on détecte du tritium sont toujours à peu près les mêmes, explique Julien Syren, codirecteur de la Criirad. Il s’agit des agglomérations qui sont sur les cours d’eau le long desquels se trouvent des centrales nucléaires : la Seine, la Loire, la Vienne, la Garonne et le Rhône. »

Ces communes ont une double particularité : se trouver en aval de l’une des dix-huit centrales atomiques de l’Hexagone et prélever leur eau potable dans un cours d’eau (ou dans sa nappe alluviale) où un réacteur rejette du tritium. (...)

Au-delà de 100 Bq/l, une enquête doit être déclenchée pour comprendre l’origine de la pollution (voir l’encadré). Mais en dessous de ce seuil, aucun suivi n’est prévu. Hors rejet industriel, la concentration de tritium dans l’environnement ne dépasse pas 2 Bq/l.

À Agen et dans les communes avoisinantes du Lot-et-Garonne, en aval de la centrale de Golfech, un autre pic (56 Bq/l) a été atteint en mars 2019. À Angers (plus de 160 000 habitant·es), dans le Maine-et-Loire, en aval de la centrale de Chinon, on mesure 54 Bq/l en septembre 2019. À Blois (Loir-et-Cher), en aval de la centrale de Saint-Laurent-des-Eaux, 42 Bq/l en juillet 2024. À Alfortville (Val-de-Marne), en aval de la centrale de Nogent-sur-Seine, en août 2023, 35 Bq/l.

Si l’on prend en compte l’ensemble des communes où du tritium a été détecté au moins une fois depuis 2016 au-dessus du bruit de fond de 2 Bq/l, un quart des Français·es sont concerné·es, avec 16,3 millions de personnes dans plus de 2 300 communes. (...)

en plein débat public sur la construction de nouveaux réacteurs EPR2 à Gravelines (Nord), où se trouve déjà la plus grosse centrale d’Europe, et tandis que le document de planification énergétique du pays est actuellement en consultation, qui explique au public que la relance du nucléaire va augmenter la pollution radioactive de son eau potable ? (...)

Cette présence radioactive dans l’eau potable est d’autant plus difficile à se représenter qu’elle est parfois détectée à plusieurs dizaines de kilomètres de la centrale concernée. « (...)

« Le tritium n’est pas rejeté dans les circuits d’alimentation en eau potable mais il s’y retrouve, c’est inéluctable, explique Julien Collet, directeur général adjoint de l’ASN. C’est intrinsèque à la filière des réacteurs à eau sous pression. » (...)

Personne ne conteste donc qu’il y a du tritium dans l’eau potable de millions de personnes. La question est : est-ce un problème sous-estimé ?
Conséquences biologiques

De récentes publications scientifiques et travaux d’expert·es vont à l’encontre de l’idée que le tritium est inoffensif. (...)

Pour les auteurs, le tritium est un sujet beaucoup trop ignoré, ce qui « est surprenant, puisque c’est la plus importante substance radioactive rejetée par une centrale nucléaire ». (...)

« Nous ne faisons pas de la santé environnementale mais du contrôle des effets des pollutions. Ce n’est pas la même chose : nous sommes en contact avec tous les polluants en même temps. Vous buvez du tritium en dessous de 100 Bq/l en France. Mais du mercure se trouve-t-il dans votre corps ? Des produits chimiques ? Des métaux lourds ? Le tritium traverse le placenta. Que se passe-t-il pour un fœtus s’il subit du stress oxydatif en raison de la présence de tritium pendant son premier trimestre de développement ? Nous ne savons pas. Le problème du passage des radionucléides vers le placenta et leur impact sur les trois premiers mois de la grossesse a été négligé. » Il a saisi l’Académie des sciences états-unienne sur ce sujet en 2022. (...)

En 2013, le Parlement européen avait adopté une résolution abaissant la valeur de référence du tritium à 20 Bq/l. Elle n’a pas été reprise par la Commission. Dans une partie des communes françaises, les quantités détectées sont supérieures à ces niveaux. (...)

L’Organisation mondiale de la santé (OMS) fixe à 10 000 Bq/l de tritium le seuil de potabilité de l’eau. Un niveau qui, selon elle, correspond à un risque sanitaire très faible. Mais selon une contre-expertise de la Criirad, le mode de calcul de l’OMS est problématique : le risque pris en référence pour évaluer l’impact sur une personne durant sa vie entière est trois cents fois supérieur à celui retenu pour les cancérigènes chimiques.

Aux États-Unis, la valeur paramétrique du tritium est de 740 Bq/l, bien au-dessus de la valeur française (100 Bq/l). « La bonne nouvelle pour vous est que la limite en France est plus stricte que dans la plupart des pays, commente Arjun Makhijani. La mauvaise nouvelle est que ce n’est un bon seuil que pour un problème : le risque de cancer. Et qu’il ne prend pas en compte les personnes les plus vulnérables. »

Aucune formation sur le tritium (...)

Au sein d’EDF, quelle attention est accordée au sujet des rejets de tritium ? Quelles alternatives existent au rejet d’une substance radioactive dans les cours d’eau qui servent à produire l’eau potable ? Sur ces points, le groupe n’a pas répondu à nos questions et se contente de citer la réglementation en vigueur. Il n’a pas non plus transmis à Mediapart ses registres de rejets détaillés, pourtant de nature publique.

Contacté, un chef de service opérationnel dans une centrale nucléaire témoigne que « le but est de rejeter le moins de tritium possible. Mais quand vous vous retrouvez dans une situation où toutes les bâches sont pleines et que si on ne rejette pas, on va être bloqué dans l’opération des réacteurs, on va trouver des alternatives. Et en général, cela passe par justifier qu’on peut rejeter en dehors des seuils initialement définis ». En vingt ans de carrière au sein d’EDF, il dit n’avoir jamais reçu « la moindre sensibilisation, ni la moindre ligne de formation aux dangers du tritium ».