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Mediapart
Nouvelle-Calédonie : « Pendant qu’on parle d’accord global, c’est le chaos global »
#NouvelleCaledonie #Kanaky
Article mis en ligne le 21 mai 2024

Mobilisé dans son quartier de Nouméa, Darewa Dianou, le fils d’Alphonse Dianou, leader indépendantiste tué à Ouvéa en 1988, raconte à Mediapart son quotidien depuis le début de la crise. Les difficultés à « canaliser » les jeunes, la peur des milices et la détermination de ceux qui luttent sur le terrain, malgré l’absence de perspectives.

De Rivière-Salée, il connaît tous les contours, les rues, les habitant·es, les différentes cultures et les nombreuses ethnies qui s’y côtoient. Même en pleine crise, il parle des « gosses qui jouent dans les rues avec leur ballon », de l’entraide entre voisins, de la dignité qui tient tout le monde.

Mais Darewa Dianou sait aussi le quotidien des jeunes du quartier, les « contrôles policiers tous les jours », l’absence de perspectives, la « cherté de la vie qui n’arrête pas d’augmenter », les séjours au centre pénitentiaire, « l’alcool à volonté et les cachetons » qui font des ravages. Des « petits jeunes qui ont 16-18 ans et qu’on a parfois du mal à contrôler », dit-il, en évoquant le rôle des « grands frères ». « Ce n’est pas facile, mais heureusement qu’on est là pour leur parler, leur rappeler les consignes, surtout par rapport à l’alcool, ajoute-t-il. Et leur répéter le mot d’ordre : toujours faire attention. » (...)

Depuis que les milices ont commencé à sortir avec des armes et que trois jeunes Kanaks ont été tués par balles dans l’agglomération du Grand Nouméa, la situation s’est logiquement « durcie ». Les adultes redoublent de vigilance à la nuit tombée. (...)

Malgré les dangers et les coups de fusil, ce « grand frère » de Rivière-Salée entend continuer d’être « un acteur » de la lutte pour la pleine souveraineté. Une lutte qu’il a reçue en héritage dès l’âge de 2 ans, le 5 mai 1988 très exactement, jour où son père Alphonse Dianou, leader indépendantiste, fut tué avec dix-huit de ses camarades dans la grotte d’Ouvéa, où ils avaient retenu plusieurs gendarmes. Depuis lors, le fils Dianou, également membre du Comité Vérité Justice de Kanaky, ne cesse de perpétuer ce « combat existentiel ».
Une nouvelle génération d’indépendantistes

Darewa Dianou considère que « la jeunesse de Kanaky est en train de s’exprimer » exactement comme elle l’avait fait en 1988. « Personne ne peut l’arrêter », affirme-t-il, reconnaissant que la nouvelle génération est bien plus émancipée que la sienne (...)

S’il tente de « canaliser l’énergie » des jeunes de son quartier, le trentenaire estime qu’il n’a « pas le droit d’user de [s]on statut de grand frère pour leur faire la morale ». « Ils ont cultivé la lutte dans leur cœur, elle a grandi dans leurs tripes et aujourd’hui ça sort. Eux le disent d’ailleurs : c’est leur Kanaky maintenant, c’est leur temps à eux. »

L’éruption est aussi forte que les alertes étaient nombreuses. « On a prévenu que ça allait se passer comme ça, indique le militant indépendantiste, qui a participé à toutes les manifestations de ces derniers mois. Les gens s’étonnent que la capitale soit en feu, mais c’est logique en fait. Et L’État le savait bien. Nouméa c’est une cocotte-minute. Tu l’ouvres d’un coup, elle explose. » (...)

Plutôt que de parler de « rébellion », Darewa Dianou préfère utiliser l’expression « désobéissance civile ». Il pointe un contexte économique et social tendu, qui explique – sans pour autant les justifier – les pillages des magasins. « La vie est tellement chère, les gens n’ont que ça, soupire-t-il. Je ne sais pas combien il y a de familles ici qui vivent en dessous du seuil de pauvreté, mais c’est énorme. Les gens ont eu l’opportunité d’aller se servir, ben ils se sont servis. » En Nouvelle-Calédonie, le niveau de vie médian des Kanak·es est deux fois plus faible que celui des non-Kanak·es. (...)

Évoquant les trois jeunes Kanaks et le gendarme de 22 ans, tous tués par balles, il en veut aux autorités qui exposent la population et les forces de l’ordre à une telle situation, alors que « le problème est politique » et qu’il devrait avoir « une réponse politique ». (...)

Désormais, il en est certain, « l’État restera toujours l’État colonial ». « Ils ont été partenaires [selon les termes de l’accord de Nouméa – ndlr] pour nous accompagner dans la voie de l’émancipation et de la décolonisation, mais aujourd’hui ce n’est pas le cas », poursuit le trentenaire, qui cite toutes les entorses observées ces dernières années. À commencer par la nomination au gouvernement de Sonia Backès, figure de proue de la droite de l’archipel et présidente de la province Sud. « Celle qui a dit qu’elle allait “foutre le bordel”, rappelle-t-il, en référence à une déclaration de l’ancienne secrétaire d’État. Il n’en fallait pas plus pour que ça parte. » (...)

« C’est pareil qu’en 1988 : tout va se jouer dans la négociation », dit-il, prenant acte des demandes de mission de dialogue ou de médiation évoquées çà et là – « De toute façon, ici, ils ne veulent plus entendre parler de Darmanin » –, mais craignant « un petit truc merdique » qui repousse encore le problème. « Une mission de dialogue, ça peut être aussi dangereux pour nous parce qu’on sait comment l’État va faire... Il va envoyer qui exactement ? »

La question reste en suspens, comme tant d’autres. (...)