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France3/septembre 2024
Notre-Dame de Bétharram. "Ils s’échangeaient les bons plans" : victimes de violences sexuelles à l’école, d’anciens élèves sortent du silence
#Betharram #Bayrou #Mediapart #enseignementprive #viols #agressionssexuelles #maltraitances
Article mis en ligne le 14 février 2025

Une centaine d’anciens élèves de l’établissement catholique Notre-Dame de Bétharram en Béarn ont décidé de raconter ce qu’ils ont subi quand ils étaient enfants : des agressions physiques, des sévices, mais aussi des viols et des agressions sexuelles. Près d’une centaine de plaintes ont été déposées.

"Ils ont brisé la vie de mon fils". Jean-Marc Veyron, 75 ans, a décidé de porter plainte. Il tient à "médiatiser au maximum" cette affaire. "Jamais, je n’aurais pensé qu’une institution catholique se rende coupable de tels faits. Que ce soit de brutalité ou de viols sur des enfants", dénonce le retraité. J’avais confié mon fils en toute confiance à Bétharram". (...)

Des vies brisées

"J’ai appris très tardivement ce qu’il s’était passé, je suis tombé des nues.". Ancien chef d’entreprise, Jean-Marc Veyron est installé aujourd’hui dans la région de Blois. Ce n’est que récemment qu’il a découvert que son fils, aujourd’hui âgé de 50 ans, avait été violé enfant à plusieurs reprises par un prêtre quand il était pensionnaire à Notre-Dame de Bétharram. " Je comprends mieux maintenant son mal-être. S’il m’en avait parlé à l’époque, je l’aurais cru", culpabilise le père de famille bouleversé. (...)

Son fils a porté plainte devant le parquet de Pau. Il a aussi saisi la CRR, la Commission reconnaissance et réparation des abus sexuels dans l’église, qui l’a auditionné en avril dernier. L’institution religieuse lui a octroyé 50 000 euros pour le "dédommager" des viols du père directeur Carricart un ancien directeur de l’établissement qui s’est suicidé en 2000. 50 000 euros en cinq versements, le premier a été versé en juin. Son père réclame aujourd’hui que "la justice des hommes fasse son travail". Il ne cache pas sa détermination : "je suis à la retraite. J’ai le temps et l’argent". (...)

Il se dit prêt pour représenter les parents devant la justice. (...)

"Il est temps que je parle, je n’ai plus rien à perdre à 40 ans", lance cet homme écorché vif, "Bétharram a plutôt abîmé ma vie". Pas de famille, pas d’enfant, et une vie d’adulte chaotique.

Quand nous le retrouvons sur place, c’est la première fois qu’il revient aux abords de son ancienne école à Bétharram." Tous les dimanches soir, le bus nous déposait là-bas et là, c’est la porte qui mène au perron, où on était puni", montre-t-il du doigt.
Les souvenirs remontent : "Là, on recevait des tartes, ils nous battaient. Un jour, le surveillant m’a même coincé la tête dans un pupitre, je ne pouvais plus respirer, je prenais aussi des coups de pied, j’avais onze ans. Cela a duré une année entière comme ça. Moi, j’étais la petite tête de turc, donc j’en prenais un peu plus." (...)

"Un jour, il y a un vieux curé qui est venu me voir pour me demander ce qu’il se passait. Il m’a amené dans l’autre bâtiment", se souvient Julien Mibelli.

« Il m’a caressé les mains les premières fois. Je me disais que c’était plus sympa que les coups. Et puis au fur et à mesure, il est allé plus loin, jusqu’aux attouchements sexuels. » (...)

"La violence était quotidienne, les coups pleuvaient dans tous les sens".

« Il y a eu vraiment beaucoup de victimes et pire que moi, des viols etc . Il y a des jeunes qui se sont suicidés. Il faut dire les trucs les gars » (...)

"Les témoignages commencent dans les années cinquante, car avant, les victimes sont pour la plupart décédées. Depuis qu’on les reçoit, je m’aperçois que tous les pères directeurs ont été des agresseurs sexuels des enfants, avec toujours le même mode opératoire. Quand l’enfant est réceptif aux caresses, on va plus loin. Et religieux et laïcs s’échangeaient les bons plans".

« Dans au moins 25 % des cas, l’enfant est à la fois agressé par un prêtre ou deux et un laïque. » Alain Esquerre, porte parole des anciens élèves victimes de Bétharram (...)

"On a un jeune garçon de 13 ans qui va être conduit vers 23 heures au bureau du père directeur par le surveillant général, qui va le chercher dans le dortoir. Le père directeur va se livrer, devant le surveillant général, à un attouchement des parties intimes du garçon en rigolant et le surveillant va être amusé par la scène. Aujourd’hui, cela équivaudrait à 15 ou 20 ans de prison !", lance Alain Esquerre. "Comment un tel système a pu perdurer ainsi à l’aube des années 2000 ? Et pourquoi ?" (...)

"Il est nécessaire que le Vatican signe la fin de la partie"

L’établissement béarnais dépend directement de la congrégation des pères du Sacré-cœur de Jésus de Bétharram. Elle est indépendante du diocèse de Bayonne. "Cette congrégation est puissante, elle existe depuis 1832 et elle est présente dans quatorze pays, notamment en Asie et en Afrique", affirme Alain Esquerre. "Elle aura bientôt deux siècles. On se rend compte que l’Église est incapable de mettre des garde-fous pour que leurs prêtres ne se livrent pas à de tels actes".

"Cette congrégation, c’est plus de 270 membres, dont certains hauts placés. Il y a des imbrications fortes au Vatican au sein du synode de la famille, par exemple avec l’archevêque de Rabat qui est un Bétharramite", poursuit Alain Esquerre qui demande au plus haut niveau de l’Eglise d’intervenir.
"Ce qui est nécessaire, c’est que le Vatican signe la fin de la partie. Et il faut mettre des garde-fous pour éviter que des faits similaires se reproduisent : Bétharram perd de la vitesse, mais la congrégation se développe dans d’autres pays.

Le porte-parole des victimes s’interroge sur la formation des prêtres et les dégâts possibles à l’étranger. (...)

En Béarn, cela a été difficile de trouver un interlocuteur pour avoir la parole de l’église. Comme une chappe de plomb. France 3 Aquitaine a finalement reçu une longue réponse de la congrégation par mail ce 8 juillet du Père Jean-Marie Ruspil (...)

Le caractère "systémique" des viols

Seule la présidente de la CORREF, la Conférence des religieux et religieuses de France, a accepté une interview téléphonique. Cette association nationale est à l’initiative de la mise en place de la commission reconnaissance et réparations des abus sexuels dans l’église (CRR) et se bat pour "la vérité" sur ce sujet toujours tabou.

"Concernant Bétharram, mon sentiment c’est d’abord l’horreur. Depuis des années, sur un seul établissement scolaire, c’est terrifiant. Sans compter les répercussions sur les familles et leur entourage. Des vies détruites par ces abus. Un établissement scolaire, surtout dirigé par une congrégation de prêtres, c’est censé protéger les enfants. Là, c’est une trahison !" Sœur Véronique Margron ne mâche pas ses mots, mais son association n’a qu’un pouvoir de conseil et de formation et aucun pouvoir coercitif. (...)

Le rapport de la Ciase, une commission indépendante sur les abus sexuels dans l’église, rendu public en 2021, a révélé un caractère "systémique" de ces violences et agressions sexuelles. "Bétharram est une preuve à lui seul", déplore la religieuse qui consacre la moitié de son temps à ce sujet. "Une fois les interdits levés, la violence se poursuit et se maintient dans le temps". (...)

Interrogée sur la possibilité que la congrégation bétharramite pourrait cacher des agissements similaires dans ses antennes à l’étranger, et protéger les auteurs, la religieuse reconnaît que "la porosité est effectivement possible". "La CORREF incite les congrégations religieuses à faire la lumière et la vérité, en rendant public les abus".
Selon elle, d’autres congrégations religieuses sont concernées par les violences physiques et sexuelles dans ses rangs, citant en exemple une congrégation en Bretagne, "les Frères de Saint-Gabriel, qui s’est décidée à lancer un travail d’enquête".

Pour les victimes, l’espoir est mince de voir un jour les auteurs sanctionnés. (...)

"Une affaire hors norme" pour la justice

L’enquête préliminaire ouverte par le parquet de Pau pour violence, viol et agression sexuelle aggravée se poursuit. Un nouveau corpus de vingt plaintes vient s’ajouter en ce début du mois de juillet aux 76 plaintes précédentes qui ont été rassemblées et déposées par Alain Esquerre. Parmi les nouveaux témoignages, ceux de jeunes filles, anciennes élèves dont une est aujourd’hui âgée de 24 ans. Elle raconte avoir été victime de harcèlement physique et psychologique en 2010 et 2011, "puis renvoyée pour éviter que cela fasse des vagues". Elle a confié à France 3 Aquitaine être "traumatisée" encore par son passage à Bétharram. D’autres victimes ont directement déposé plainte en gendarmerie. (...)

France 3 Aquitaine a contacté une ancienne enseignante qui s’est signalée à la justice comme témoin. Elle n’a pas souhaité répondre à nos questions, préférant "attendre d’abord d’être entendue par la justice", mais confirme "la puissante omerta" qui règne à Bétharram. "Il faut aller là-bas pour sentir cette atmosphère de plomb et comprendre pourquoi personne ne parle depuis des décennies. Même pas les habitants de la région".