La journaliste Mzia Amaghlobeli est détenue depuis janvier 2025. Son arrestation est une mise en garde adressée aux médias indépendants de Géorgie, et révèle l’érosion de la liberté de la presse, un droit miné par la loi contre les “agents étrangers” et par les actes d’un régime qui craint davantage la vérité que la dissidence.
La première fois que j’ai rencontré Mzia Amaghlobeli, je n’étais qu’une adolescente. Nous vivions toutes deux à Batoumi, d’où je suis originaire et où Mzia a commencé sa carrière de journaliste avant notre rencontre. À 26 ans, Mzia a créé le site web Batumelebi, avec pour objectif de prouver qu’il était possible de pratiquer véritablement le journalisme et d’établir des standards de qualité dans une région où les dirigeants autoritaires considéraient tout comme leur domaine privé. A fortiori dans un pays qui tentait encore, à l’époque, de se reconstruire sur les ruines des drames et des guerres post-soviétiques.
Au fil des années, cette jeune journaliste a réussi à transformer un petit journal local en deux médias en ligne de premier plan dans la région du Caucase du Sud : Netgazeti, qui couvre les affaires nationales et internationales et a été récompensé pour sa qualité, et Batumelebi, qui se concentre sur l’actualité locale de Batoumi. (...)
Les journalistes dérangent les gens au pouvoir. Lorsque l’on choisit de suivre cette carrière, on sait que l’on signe pour une vie pleine de défis. Mais il y a des choses pour lesquelles on ne signe pas. Au fil des ans, j’ai entendu les récits de Mzia : comment elle et ses journalistes avaient été menacés, placés sous surveillance, suivis et victimes de chantage … Quand j’étais jeune, j’écoutais ces histoires avec un certain enthousiasme, comme si je regardais un film. Mais ce qui se passe aujourd’hui n’a plus rien d’excitant. Nous n’avons pas signé pour ça.
Dès l’adoption de la loi contre les “agents étrangers” en 2024, il était clair que la situation en Géorgie allait se dégrader, et que cela allait faire très mal. En fin de compte, les événements de ces sept derniers mois nous montrent qu’il ne s’agit pas d’un retour en arrière – comme certains aiment à le dire – mais plutôt d’un glissement de terrain qui emporte tout sur son passage. (...)
La double arrestation controversée de Mzia
Dans la nuit du 11 au 12 janvier 2025, Mzia a été arrêtée à deux reprises par la police à Batoumi. Lors d’une manifestation violemment réprimée par la police, Mzia avait assisté à l’arrestation de plusieurs personnes, dont l’une de ses amies, la militante Tsiala Katamidze. On lui reprochait d’avoir placé un autocollant “La Géorgie se met en grève” au sol devant un poste de police.
Accompagnée d’un avocat, Mzia s’était rendue au poste de police pour soutenir son amie. Devant le bâtiment, un rassemblement exigeait la libération des manifestants arrêtés arbitrairement ; par solidarité, Mzia avait elle aussi posé un autocollant similaire sur le mur du poste de police. Cet acte a conduit à sa première arrestation. (...)
Après sa remise en liberté, Mzia est restée à l’extérieur du poste de police pour discuter avec des amis et des proches. Lorsque la police a essayé d’arrêter l’un d’entre eux, les tensions se sont ravivées et un affrontement s’en est suivi. Dans une vidéo filmée sur les lieux, on peut voir Mzia dans la foule, avant que celle-ci ne soit poussée au sol et ne disparaisse.
La police a arrêté deux des frères de Mzia, avant de se retirer derrière la grille du poste. (...)
Mzia a alors demandé au chef de la police de Batoumi, Irakli Dgebuadze, des explications concernant l’arrestation de ses proches. Voyant que ce dernier l’ignorait, elle l’a attrapé par la manche et l’a giflé, avant d’être arrêtée à nouveau. (...)
D’après les témoignages, Mzia est restée menottée pendant des heures sans pouvoir aller aux toilettes, boire ou contacter son avocat. Elle a également été soumise à des menaces et à des abus, notamment des crachats, de la part d’Irakli Dgebuadze. Aucune enquête n’a été ouverte sur le traitement qu’elle a reçu. Elle est aujourd’hui accusée d’avoir “attaqué un officier de police” en vertu de l’article 353-1, un acte passible d’une peine d’emprisonnement de quatre à sept ans. (...)
J’aimerais qu’une plus grande prise de conscience s’opère à l’échelle mondiale, notamment au sein de la communauté journalistique.
Il y a quelques semaines, j’ai été interviewée par une journaliste hongroise qui souhaitait parler de l’impact de la loi contre les “agents étrangers” car, disait-elle, on s’attendait à ce que le même type de mesure soit également appliqué en Hongrie. C’était douloureux à entendre : il y a tout juste un an, j’interviewais des journalistes russes et biélorusses, en essayant, par le récit de leur expérience, de tirer la sonnette d’alarme. J’ai pensé à cette journaliste hongroise et je me suis demandé si elle serait interviewée par des journalistes slovaques la prochaine fois.
Je pense que le monde regarde la Géorgie et se dit : “Nous avons déjà assisté à de tels événements auparavant. Cela va se produire et il n’y a rien à faire”. Je tiens à dire clairement que tout dépend de nous. Nous pouvons inverser la tendance et donner l’exemple. Maria Ressa nous a montré comment se battre et être libres. (...)
L’une des difficultés auxquelles nous sommes confrontés est que “la plupart des pays qui ont le plus d’influence sur la Géorgie se montrent assez hostiles envers les journalistes. Il s’agit par exemple de la Chine et de la Russie. Toutefois, je pense que la clé du problème réside dans les actions du Conseil de l’Europe, de l’Union européenne et de l’Allemagne, [qui est] l’un des principaux partenaires commerciaux de la Géorgie”, explique Caoilfhionn Gallagher KC.
Pour ma part, je pense que nous n’avons pas d’autre choix que de nous battre : nous avons un pays à reprendre car, même si le gouvernement a la mainmise sur les institutions, certains esprits restent libres. (...)
Mais le temps presse : l’état de santé de Mzia n’est pas bon. Après l’arrestation de notre caméraman, elle a entamé une grève de la faim pendant 38 jours, ce qui a eu un impact terrible sur sa santé. Le 12 mai 2025, le jour des 50 ans de Mzia, des personnes se sont rassemblées devant la prison, ont chanté des chansons et ont allumé des bougies. Elle est faible et continue de perdre du poids. Sa vue a considérablement baissé depuis la grève de la faim et elle ne peut presque plus lire. (...)
La dernière fois qu’elle s’est présentée à la salle d’audience, elle n’avait plus que la peau sur les os. J’étais terrifiée. (...)
La tâche est ardue, d’autant plus que nous sommes confrontés à une pression de toutes parts chez Batumelebi/Netgazeti et que nos ressources s’épuisent rapidement. C’est pourquoi nous avons lancé une campagne de dons afin de collecter des fonds d’urgence. Ce n’est pas le montant qui compte, mais le nombre de personnes qui nous soutiennent. Même une petite contribution suffirait à montrer votre solidarité et à renouveler les forces de Mzia et les nôtres. Nous vous serions reconnaissants pour votre soutien. (...)