
Plusieurs pays européen se sont réunis vendredi pour évoquer un projet de "mur de drones". Une idée qui a le vent en poupe alors que les incursions de drones dans l’espace aérien de pays européens se multiplient. Les contours de ce programme restent cependant flous et les obstacles pour parvenir à un système de défense antidrones sont nombreux.
(...) Un système qui a vocation à déployer des moyens de détection et de destruction sur les frontières orientales de l’Union européenne, récemment violées par des drones en Pologne et en Roumanie, et par des MiG-31 en Estonie.
Cette réunion intervient alors que plusieurs aéroports danois et un aéroport norvégien ont dû être fermés temporairement ces derniers jours en raison de survols de drones non identifiés, qui pourraient avoir été lancés depuis des navires ayant des liens avec la Russie.
Un mur en 12 mois ?
Dans le cas des survols anonymes, les drones n’ont pas été retrouvés et la Russie apparaît comme le principal suspect. Les autorités danoises estiment que ces survols sont l’œuvre d’un "acteur professionnel" et constituent une "menace systématique", mais n’accusent pas encore Moscou, qui nie farouchement.
"Il est vital à l’heure actuelle de trouver comment se protéger contre la multiplication des incursions de drones. Et au plus vite, car le paysage sécuritaire a déjà changé en Europe avec un espace aérien contesté", souligne James Patton Rogers, spécialiste des drones militaires à l’université Cornell.
D’où l’émergence de l’idée d’un "mur de drones". La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, y a même fait officiellement référence lors de son discours sur l’état de l’Union européenne devant le Parlement européen le 10 septembre. Pour elle, ce projet doit représenter "le fondement d’une défense européenne crédible". (...)
Son commissaire européen à la Défense, le Lituanien Andrius Kubilius, est allé plus loin, affirmant qu’il fallait réussir à bâtir ce mur en "12 mois" lors d’un entretien accordé mercredi au site Euractiv.
Trop optimiste ? Probablement, estiment les experts interrogés par France 24, mais "tout dépend de ce qu’on appelle ’mur de drones’", estime James Patton Rogers. Il ne faut, en effet, pas imaginer un mur qui rendrait l’Union européenne imperméable à toute incursion venue de Russie ou de Biélorussie, les deux principales menaces en la matière. "C’est plutôt un appel politique à agir, car il n’existe pas encore de cadre technique défini pour un tel système de défense antidrones", note Julian Pawlak, spécialiste de la sécurité de la région baltique à l’université de la Bundeswehr (l’armée allemande) à Hambourg.
Mieux détecter les drones
En l’occurrence, le plus "rapide" à mettre en place serait le volet "détection" d’un tel mur, a assuré Andrius Kubilius. La vingtaine de drones qui a pu entrer dans l’espace aérien polonais début septembre et les incursions répétées au Danemark ces derniers jours prouvent que les pays européens sont dépourvus face à cette menace. (...)
Ensuite, l’UE pourrait ajouter la brique ’élimination de la menace’ à ce mur. Pour ce faire, il y a l’embarras du choix. "La méthode la plus courante consiste à brouiller les capteurs des drones en les noyant sous une avalanche de signaux radio. Il est aussi possible d’en prendre le contrôle en ’hackant’ leur système pour le neutraliser", explique Bruno Oliveira Martins. Enfin, ces drones peuvent être détruits "soit à l’aide de projectiles comme des petits missiles, soit en envoyant d’autres drones les percuter", énumère cet expert.
Mur utopique ?
Ce "mur de drones" idéal se heurte cependant à bon nombre d’obstacles pratiques, à commencer par ses limites géographiques. A minima, "ce système de défense devrait probablement s’étendre le long de la frontière à l’est des dix pays qui participent à la réunion ce vendredi [Finlande, Estonie, Lettonie, Lituanie, Pologne, Bulgarie, Danemark, Roumanie, Hongrie et Slovaquie]", estime Justinas Lingevicius.
Mais un dispositif frontalier peut ne pas suffire. "La menace peut aussi venir de l’intérieur de l’Europe. Dans le cas des drones au Danemark par exemple, l’opération a pu être menée depuis un autre pays européen", souligne Julian Pawlak. Un mur serait ainsi inutile si la Russie réussit à implanter des agents dans un pays européen.
C’est ainsi qu’en Pologne, les autorités ont interpelé deux jeunes – une Biélorusse et un Ukrainien –, accusés d’avoir fait voler un drone au-dessus du palais présidentiel à Varsovie le 15 septembre.
Un tel "mur de drones" a aussi des limites technologiques. "Les drones deviennent de plus en plus petits et, de ce fait, sont plus difficiles à repérer. D’autant plus qu’ils se déplacent de plus en plus vite", prévient Bruno Oliveira Martins.
Il faut également compter sur l’omniprésente intelligence artificielle. Dans le domaine des drones, celle-ci "permet de concevoir de larges essaims de drones capables de voler en formation et de manière autonome", souligne Bruno Oliveira Martins. Un tel nuage de drones serait susceptible de saturer les capacités d’interception d’un "mur de drones".
"Il y a aussi des questions pratiques qu’il faut se poser. Avons-nous déjà la technologie nécessaire ? Pouvons-nous produire suffisamment de drones ? Et combien de temps faudrait-il pour former leurs pilotes ?", énumère Justinas Lingevicius.
Jeu du chat et du drone
Et même si un éventuel plan européen prenait en compte tous ces aspects, il resterait le problème de la rapide obsolescence des mesures antidrones. C’est un jeu du chat et du drone, et la guerre en Ukraine "a démontré que la durée de vie des drones et des systèmes pour les contrer est d’environ six semaines", explique James Patton Rogers. Après, il faut mettre à jour les capacités pour s’adapter. (...)
D’où le dernier obstacle, d’ordre politique et institutionnel. La Commission a dévoilé mi-septembre une enveloppe de 150 milliards d’euros en prêts pour améliorer la "défense européenne", dont une grande partie serait distribuée aux pays d’Europe de l’Est. "Il risque d’y avoir des débats entre pays pour savoir comment seront distribués ces fonds", estime Julian Pawlak.
Des pays comme la Slovaquie et la Hongrie – présentes à la réunion de vendredi et connues pour leur proximité avec Moscou – pourraient jouer les trouble-fête pour retarder le plan de défense antidrones. (...)