
Alors que les déplacés climatiques seront plus nombreux, la loi Asile et immigration est un « recul désastreux », selon Marine Denis, juriste de Notre affaire à tous.
Reporterre — Que vous inspire le projet de loi Asile et immigration, actuellement discuté au Sénat ?
Marine Denis — Ce projet s’inscrit dans une logique profondément répressive. La volonté de la droite et de l’extrême droite se résume à restreindre sans discernement les droits fondamentaux des migrantes et migrants. Nous en avons eu l’illustration le 7 novembre, quand le Sénat a adopté la suppression de l’aide médicale d’État (AME) réservée aux sans-papiers, transformée en une « aide médicale d’urgence » réduisant le panier de soins actuellement accordé. Ce recul est désastreux, à la fois moralement et en matière de santé publique.
En se plaçant d’un point de vue purement libéral, cette loi est hypocrite : en refusant la régularisation des immigrés dans les métiers en tension [ouvriers, conducteurs de transport en commun, plombiers, etc.], qui était sur la table, Gérald Darmanin [le ministre de l’Intérieur] et la droite refusent de reconnaître l’apport effectif de l’immigration à l’économie française, maintes fois documenté.
Cet acharnement envoie un très mauvais signal, à l’heure où les déplacements de populations sont largement dopés par les conséquences du changement climatique. Face à cette urgence, la réponse de la France est claire : elle est hostile à l’accueil et cherche à décourager les velléités d’immigration en rendant la vie impossible aux personnes déjà présentes sur le territoire.Reporterre — Que vous inspire le projet de loi Asile et immigration, actuellement discuté au Sénat ?
Marine Denis — Ce projet s’inscrit dans une logique profondément répressive. La volonté de la droite et de l’extrême droite se résume à restreindre sans discernement les droits fondamentaux des migrantes et migrants. Nous en avons eu l’illustration le 7 novembre, quand le Sénat a adopté la suppression de l’aide médicale d’État (AME) réservée aux sans-papiers, transformée en une « aide médicale d’urgence » réduisant le panier de soins actuellement accordé. Ce recul est désastreux, à la fois moralement et en matière de santé publique.
En se plaçant d’un point de vue purement libéral, cette loi est hypocrite : en refusant la régularisation des immigrés dans les métiers en tension [ouvriers, conducteurs de transport en commun, plombiers, etc.], qui était sur la table, Gérald Darmanin [le ministre de l’Intérieur] et la droite refusent de reconnaître l’apport effectif de l’immigration à l’économie française, maintes fois documenté.
Cet acharnement envoie un très mauvais signal, à l’heure où les déplacements de populations sont largement dopés par les conséquences du changement climatique. Face à cette urgence, la réponse de la France est claire : elle est hostile à l’accueil et cherche à décourager les velléités d’immigration en rendant la vie impossible aux personnes déjà présentes sur le territoire. » (...)
le changement climatique est rarement l’unique facteur qui pousse les personnes à quitter leur région d’origine. Les dynamiques migratoires sont complexes, et les bouleversements du climat aggravent et s’imbriquent dans d’autres paramètres : des difficultés économiques et sociales, des troubles politiques...
Ce que l’on sait, en revanche, c’est que la majorité de ces migrations sont locales, c’est-à-dire internes à un État ou à une région du monde, entre des pays limitrophes. Avec l’intensification du changement climatique, ces flux vont s’amplifier dans les années et décennies à venir.
Pourquoi le changement climatique n’est-il pas pris en compte dans la loi Asile et immigration ? La France contribue pourtant à l’emballement du réchauffement...
La France a en effet une grande responsabilité historique dans les catastrophes climatiques [1] et les déplacements qu’elles engendrent. C’est l’ensemble de nos modes de consommation — émissions de gaz à effet de serre et projets extracteurs de ressources ou polluants — qui sont des accélérateurs de déplacements forcés de populations.
Encore aujourd’hui, la France laisse ses entreprises provoquer des déséquilibres écologiques et sociopolitiques un peu partout (...)
Plutôt que de reconnaître ses responsabilités, et de se montrer solidaire en conséquence, la France préfère se replier sur elle-même. Elle se cache derrière des idées reçues sur l’immigration, qui serait le problème majeur de la France, la cause d’un certain « déclassement ». Ça donne un texte comme celui-là, cynique. Qui repose aussi, à mon avis, sur le fait qu’on n’arrive pas à avoir une approche européenne coordonnée, avec des États membres qui durcissent presque tous leurs politiques.
Ces politiques répressives sont meurtrières. Elles ne font que renforcer l’insécurité de populations déjà en danger. On l’a encore vu cet été, quand des migrants éthiopiens — un pays en proie à des sécheresses répétées — ont été tués par les gardes-frontières saoudiens, alors qu’ils tentaient d’entrer dans le pays en passant par le Yémen (...)
e crois beaucoup aux évolutions par le droit. À l’échelle internationale, outre l’urgence d’améliorer la protection des personnes déplacées, j’insisterais sur la nécessité d’avancer sur le mécanisme international de Varsovie pour les pertes et dommages. Celui-ci consiste, pour les pays riches, à reconnaître leur responsabilité dans les conséquences irréversibles du changement climatique dans les pays les plus vulnérables, et à les indemniser.
Depuis l’Accord de Paris en 2015, il y a eu plusieurs tentatives pour rendre ce système opérationnel. Les discussions ont bien avancé lors de la COP27. Derrière ce mécanisme, il y a un enjeu de justice climatique (...)