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Mediapart
« Ma fille a été broyée » : les silences de Gabriel Attal sur les méthodes de Stanislas
#ecolepublique #ecoleprivee #Stanislas
Article mis en ligne le 17 janvier 2024
dernière modification le 16 janvier 2024

Gabriel Attal, plusieurs fois interpellé, a même reçu une alerte d’un parent d’élève en novembre dernier, sans jamais réagir. Ministre de l’éducation, il a aussi refusé de dévoiler les conclusions de l’enquête administrative sur son bureau depuis l’été dernier.

Depuis les révélations de Mediapart, vendredi 12 janvier, sur la scolarisation des enfants d’Amélie Oudéa-Castéra dans un établissement privé catholique parisien, un seul sujet domine : le paradoxe d’une ministre censée défendre le public qui inscrit ses enfants dans le privé. Sur les valeurs prônées par Stanislas ou le profil de cette école élitiste du VIe arrondissement, le premier ministre comme la ministre de l’éducation n’ont en revanche pas dit un mot, parlant seulement d’un « procès d’intention ».

Dans une enquête publiée en juin 2022, Mediapart avait pourtant dévoilé, documents et témoignages à l’appui, l’univers sexiste, homophobe et autoritaire de cet établissement dans lequel les classes de collège sont majoritairement non mixtes.

De nombreux dysfonctionnements y étaient révélés (...)

Gabriel Attal personnellement alerté en novembre

Depuis ces révélations il y a plus de dix-huit mois, la complaisance à l’égard de cet établissement n’a pas bougé d’un iota. Malgré le portrait sévère dressé de ce lycée par L’Express, Mediapart puis Le Monde et Brut, le ministère de l’éducation ferme les yeux et refuse de dévoiler les conclusions de l’enquête administrative qui lui ont été remises à l’été 2023. (...)

De son côté, selon nos informations, Gabriel Attal a été directement alerté et sollicité par un parent d’élève de Stanislas en novembre dernier. Dans un courrier consulté par Mediapart, le parent explique avoir témoigné auprès de la mission d’inspection avec sa fille le 16 mai 2023, et regrette de ne pas avoir de nouvelles depuis. Selon lui, sa fille a été exclue du collège Stanislas de manière injuste et arbitraire, parce qu’elle dénonçait l’homophobie et le racisme de membres du personnel. (...)

Selon les documents obtenus par Mediapart, l’élève avait en effet d’excellents résultats et a bien été désinscrite de l’établissement par le directeur, en dehors de tout conseil de discipline et sans l’avis des professeur·es, parce qu’elle « ne respectait pas l’esprit de Stanislas ».

« Depuis, [ma fille] n’est plus la même, broyée par ce qu’elle a vécu et par l’absence de sanctions envers ses bourreaux », écrit ce père à Gabriel Attal. Dans sa lettre, il accuse un responsable de Stanislas de « harcèlement » envers sa fille (...)

Le ministre Gabriel Attal a-t-il réagi ? Interrogé par Mediapart, son cabinet refuse de nous répondre. Le père en question n’a jamais été informé d’aucune suite et a seulement reçu un accusé réception, le 14 décembre 2023, du cabinet du ministre, précisant que son courrier serait transmis à « la directrice des affaires financières ». « Depuis, plus rien », dénonce-t-il à Mediapart. (...)

Pendant six mois, le ministère de l’éducation et son ministre d’alors, Pap Ndiaye, ont refusé de s’exprimer sur le sujet Stanislas ou de lancer des contrôles, tandis que Valérie Pécresse refusait de suspendre les subventions de la région Île-de-France accordées à l’établissement (plus d’un million d’euros en 2022).

Ce n’est qu’après plusieurs courriers du groupe Gauche communiste, écologiste et citoyenne de la région que Pap Ndiaye s’est finalement décidé à saisir l’inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche (IGESR) en février 2023.

Cette enquête administrative, achevée à l’été 2023, est restée confidentielle depuis et Gabriel Attal, alors ministre de l’éducation, a refusé d’en dévoiler les conclusions ou de prendre des décisions. Un ancien élève de Stanislas a même saisi en novembre la Commission d’accès aux documents administratifs (Cada) pour exiger que le ministre rende public ce rapport. En vain. (...)

Face à ce silence, Mediapart a sollicité le rectorat de Paris à plusieurs reprises, depuis le 14 décembre 2023, pour obtenir les conclusions de ce rapport. « Le rectorat ne pourra pas donner suite à votre demande », répondait l’académie de Paris le 8 janvier dernier, nous obligeant nous aussi à lancer une procédure devant la Cada.

Malgré les multiples enquêtes de presse et cette mission d’inspection, le gouvernement refuse de réagir face à ce qu’il se passe dans cet établissement. Sur un sujet pourtant loin de ses prérogatives, Amélie Oudéa-Castéra, encore ministre des sports, avait même pris la défense ardente de Stanislas, indique une source ministérielle à Mediapart. (...)

« Je vais être très claire, ce rapport d’inspection n’est pas sur mon bureau », a-t-elle déclaré vendredi 12 janvier, interrogée par Mediapart. « J’aurai plus d’informations générales sur ce rapport. S’il y a des compléments d’enquête, ils seront menés avec toute l’indépendance nécessaire », a promis la nouvelle ministre de l’éducation à propos de l’établissement qui scolarise ses trois enfants.

Lire aussi :

Le couple Oudéa-Castéra, parangon des élites françaises

La ministre de l’éducation nationale et son mari, ancienne figure tutélaire de la Société générale et actuel patron de Sanofi, incarnent la jonction des intérêts économiques et politiques des classes dominantes françaises. Leur choix de l’enseignement catholique le plus dur en est une des facettes.

Le sourire, l’aplomb et la tranquillité d’esprit d’un milieu qui n’a guère l’habitude de douter – de lui-même ou de l’ordre des choses tel qu’il se perpétue. Les mots et le ton choisis par Amélie Oudéa-Castéra, la nouvelle ministre de l’éducation nationale et des sports, pour répondre à Mediapart, vendredi 12 janvier, sur le choix de scolariser ses enfants à Stanislas, sont une petite brèche qui permet de révéler le monde qu’elle habite.

Un monde où l’établissement scolaire parisien catholique, élitiste et réactionnaire, cible d’une enquête administrative sur ses pratiques, est un lieu de scolarité prisé, un « choix de proximité » pour des habitants du centre de la capitale, et qui permet en sus d’éviter de prétendus « paquets d’heures » d’enseignement perdues en raison de l’absence d’enseignants du public.

Un monde où les élites, sociales, économiques et politiques se mêlent et vivent dans un huis clos de plus en plus prononcé. Un monde dont le couple Oudéa-Castéra est un exemple parfait, et un emblème éclatant.

Amélie Oudéa-Castéra a 45 ans. Son père est Richard Castéra, haut fonctionnaire et ex-directeur de Publicis, agence de communication mondialement célèbre. Sa mère, Dominique Duhamel, ex-directrice des ressources humaines de Safran, le géant français de l’aéronautique et de la défense, est la sœur des journalistes Alain et Patrice Duhamel. (...)

Parcours sans faute dans le CAC 40 (...)

Officiellement pas intéressée par la politique, Amélie Oudéa-Castéra est toutefois séduite par le discours d’Emmanuel Macron en 2017. « Si on veut aider [Emmanuel Macron – ndlr] à améliorer la situation de notre pays, des gens comme nous doivent prendre [leur] part de risques et y aller », dit-elle au journal L’Équipe. Elle adhère à En Marche dès sa création et tanne le président à peine élu pour devenir ministre des sports. (...)

Le 12 janvier dernier, la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique a « invité les membres du nouveau gouvernement à porter une attention toute particulière à la prévention des conflits d’intérêts ». Une mise en garde particulièrement appropriée pour le couple Oudéa-Castéra, qui porte jusqu’à son point d’incandescence la jonction des intérêts économiques et politiques de l’élite française.