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Mediapart
Lycées privés : révélations sur une rallonge de 1,2 milliard d’euros d’argent public
#lyceesprives #educationNationale
Article mis en ligne le 29 août 2024
dernière modification le 27 août 2024

Mediapart a enquêté sur les « bonus » que les régions accordent, bien au-delà de leurs obligations légales, à certains lycées catholiques. Inconnue jusqu’ici, l’ampleur de ce financement public est jugée « stupéfiante » par certains élus de gauche.

Le sujet des moyens alloués à l’école privée est tant rebattu qu’il est difficile de croire qu’une part de mystère persiste… Et pourtant. Les chiffres sur les lycées que Mediapart a découverts, le ministère de l’éducation nationale n’en dispose pas. L’enseignement catholique, non plus. La Cour des comptes, n’en parlons pas.

Ce qui est bien connu déjà, ce sont les financements publics en faveur des lycées sous contrat que la loi impose : les salaires des enseignant·es versés par l’État et les frais de fonctionnement que les régions doivent régler. Mais on sait moins que les établissements privés peuvent réclamer aux régions des subventions en plus, dites « facultatives ». Or, une fois ces « bonus » votés, aucun listing national des bénéficiaires et montants n’est jamais publié. Leur ampleur était donc, jusqu’ici, insoupçonnée.

À l’issue d’une enquête de plusieurs mois, les chiffres de ces financements, région par région, se révèlent colossaux. Entre 2016 (année du redécoupage de la carte régionale) et 2023, ce sont au minimum 1,2 milliard d’euros de fonds publics qui ont été ainsi distribués à des lycées privés par les régions métropolitaines, au-delà de leurs obligations légales (...)

Pour mémoire, les contributions que les régions sont légalement contraintes de débourser couvrent les frais de fonctionnement, tels le chauffage, l’eau ou le matériel (on parle du « forfait d’externat », versé à parité entre public et privé). Les subventions « facultatives », elles, financent du pur investissement : travaux sur le bâti (agrandissement, rénovation énergétique, internat, ascenseur…), équipements pédagogiques (tablettes numériques, manuels…), parfois des aides sociales (bourses, cantine…). Ces enveloppes d’argent public ont donc pour spécificité de rendre le privé toujours plus attractif et concurrentiel. (...)

Et ce, alors que leurs élèves sont issus de milieux plus favorisés (en moyenne) que ceux du public.

Sur une seule année, les enveloppes par bénéficiaire peuvent aller de quelques milliers à plusieurs centaines de milliers d’euros – pour les lycées généraux, le montant est plafonné à 10 % du budget de l’établissement. Exemple caricatural parmi tant d’autres : depuis 2020, le lycée catholique et huppé Sainte-Geneviève à Versailles (Yvelines), qui fut celui de la patronne de la région Île-de-France, Valérie Pécresse, a encaissé 1,6 million d’euros de la part de la collectivité.

Des pouvoirs publics à l’aveugle (...)

Quant à l’enseignement catholique, il soutient que sans ces aides publiques à l’investissement, le privé ne pourrait « en aucun cas » faire fonctionner ses lycées, qui accueillent un cinquième des élèves chaque année.

Dans le même temps, il se dit dans l’incapacité de confirmer, démentir ou préciser nos chiffres « pour le moment ». Hasard du calendrier sans doute, une campagne vient d’être lancée par ses services pour recenser les subventions « facultatives » perçues ces dernières années, censée aboutir en janvier prochain. Encore faudra-t-il, pour faire œuvre de transparence, que ces résultats soient publiés. (...)

Les deux entités ayant déboursé les plus gros montants sont de droite : l’Auvergne-Rhône-Alpes, dirigée par Laurent Wauquiez (Les Républicains), avec 261 millions d’euros entre 2016 et 2023 ; et les Pays de la Loire (divers droite), avec 234 millions d’euros. (...)

la tendance, sur huit ans, est à la baisse en Bretagne comme dans la quasi-totalité des régions de gauche (à l’exception de la Bourgogne-Franche-Comté).

Parmi les cinq régions qui ont augmenté leur subvention moyenne par élève, quatre se trouvent ainsi aux mains de la droite. En Île-de-France, dirigée par Valérie Pécresse (LR), le montant a été multiplié par six en huit ans ; dans le Grand Est, par cinq ; en Auvergne-Rhône-Alpes et en Normandie, par deux.

Chez Laurent Wauquiez, la politique en faveur des lycées privés est revendiquée haut et fort.(...)

À ceci près que le privé dispose de financements complémentaires bien à lui : frais d’inscription des familles, dons et mécénat parfois. Surtout, il sélectionne ses élèves et échappe à l’essentiel des contraintes qui pèsent sur le public, qu’il s’agisse de mixité sociale ou d’accueil du handicap, au point que certains observateurs parlent désormais de « séparatisme scolaire ». (...)

Financer l’entre-soi et parfois les dérives

« On est dans la déclinaison d’un clientélisme permanent et dans une préférence assumée pour l’entre-soi », résume son opposante Najat Vallaud-Belkacem, présidente du groupe Socialiste, écologiste et démocrate à la région. Cette ancienne ministre de l’éducation nationale sous François Hollande pointe « un surinvestissement pour le privé, pendant que des lycées publics manquent d’entretien ». Alors que la région a refusé toute commission d’enquête sur le sujet, elle dénonce « un manque total de transparence sur les chiffres qui pose un problème démocratique ».

Ancien ministre socialiste de l’éducation, lui aussi, Benoît Hamon rappelle que « les principaux postes budgétaires d’un lycée privé sont déjà couverts ! Et on donne encore la possibilité aux régions de contribuer à leur agrandissement ou leur modernisation… On ne va plus pouvoir fermer les yeux sur cette asymétrie entre les moyens du privé et le peu d’obligations qui lui sont assignées en contrepartie ».

Certaines « rallonges » étonnent d’autant plus qu’elles profitent à des lycées catholiques problématiques. (...)

À Compiègne (Oise), le lycée Jean-Paul-II, sous le coup d’une enquête préliminaire ouverte le 10 juin pour « diffamation », « injure » et « provocation publique à la haine et la discrimination » (déclenchée par un signalement du rectorat et une plainte après les révélations notamment de Mediapart en 2023), clôturée et en cours d’analyse selon le parquet de Compiègne, a quand même bénéficié de près d’un demi-million d’euros de la région Hauts-de-France la même année pour la rénovation d’un bâtiment, ainsi que d’aides pour des équipements numériques. (...)

Dans les Pyrénées-Atlantiques, une centaine d’anciens élèves de Notre-Dame de Bétharram (rebaptisée Beau-Rameau) ont récemment déposé plainte pour des violences, notamment sexuelles, commises entre les années 1960 et 2000, ébranlant une institution que 142 000 euros de subventions « facultatives » sont venus arroser depuis 2016. Mais au motif que « le pilotage actuel de l’établissement n’est pas mis en cause », la région Nouvelle-Aquitaine (gauche) n’envisage pas de fermer le robinet. (...)

dans certaines régions de droite, des élus de gauche s’opposent désormais systématiquement à ces subventions « facultatives ». C’est le cas de Michaël Weber, président du groupe La Gauche solidaire et écologiste dans la région Grand Est (...)

« L’argent public doit aller au public, proteste aussi la communiste Céline Malaisé, qui ferraille sans relâche contre Valérie Pécresse au conseil régional d’Île-de-France. C’est sûrement la prof qui parle, mais quand on voit l’état de l’Éducation nationale, je ne suis pas pour les accommodements. » Avec 70 millions d’euros de subventions régionales offertes au privé en huit ans, elle calcule qu’« on aurait pu financer par exemple la gratuité de la cantine pour les lycées publics, dans les quatre premières tranches du quotient familial ». Quand elle est aux manettes, la gauche affiche cependant des positions moins radicales. (...)

Pas de volonté politique de réguler (...)

À la lumière de nos chiffres, l’historien et vice-président communiste du Sénat, Pierre Ouzoulias, déclare : « On doit pouvoir moduler l’argent qu’on donne aux établissements privés en fonction de critères de mixité sociale. » Pour déplorer aussi sec : « Je ne vois aucune volonté politique de le faire. » (...)