
Abdelrahman Milad, surnommé Bija, a été tué dimanche en périphérie de Tripoli dans une fusillade visant son véhicule. Le plus célèbre passeur d’êtres humains en Libye, à la tête d’une unité de garde-côtes dans la ville de Zaouia, était accusé de crimes contre l’humanité par le Conseil de sécurité de l’ONU, qui l’a inscrit en 2018 sur une liste de personnes faisant l’objet de sanctions. Il était décrit par les migrants comme "pire que le diable".
L’image de son corps gisant dans une voiture blanche a fait le tour des réseaux sociaux. Abdelrahman Milad a été tué dimanche 1er septembre dans une embuscade par des assaillants non identifiés à Sayyad, à 25 km à l’ouest de Tripoli, à la hauteur de l’Académie navale de Janzour, dont il était le commandant, ont indiqué des sources officielles citées par des médias locaux.
Des images reprises dans les médias ont montré un 4X4 blanc au bord de la route, la portière avant droite criblée de balles, avec le corps d’un homme à l’intérieur. Aucune précision sur les motivations politiques ou crapuleuses de l’assassinat n’a été donnée. (...)
L’homme, surnommé Bija - en référence à sa passion pour le football et son admiration pour le joueur italien Roberto Baggio – était considéré comme l’un des principaux trafiquants d’êtres humains en Libye. Ancien responsable d’une unité des garde-côtes de Zouara, ville de l’ouest libyen connue pour être un lieu de départs des embarcations de migrants, il "a bâti un empire sur la souffrance humaine, et la politique européenne l’a rendu possible", indique sur X Anas El Gomati, directeur de l’institut libyen de recherches Sadeq.
Selon des médias italiens et libyens, Bija – qui avait la double casquette passeur et garde-côtes - avait en effet participé en 2017, aux côtés d’autres passeurs, à des pourparlers avec des responsables italiens, afin de signer un partenariat pour faire baisser les départs depuis la Libye. Depuis cette date, l’Italie, via l’Union européenne (UE), fournit un soutien matériel et financier aux garde-côtes libyens dans le but d’intercepter un maximum de canots en route vers les côtes italiennes.
Bija "a transformé le sauvetage en kidnapping : les plus vulnérables interceptés en Méditerranée ont été renvoyés en Libye pour être extorqués dans des centres de détention", estime encore Anas El Gomati. (...)
"Même les Libyens n’osent pas le contredire car il est réputé très violent, y compris avec eux", avait renchérit Ali, un autre Guinéen qui a passé trois mois dans la prison de Zaouia, tenue par Bija et son cousin Oussama, lui aussi tortionnaire notoire (...)
Abdelrahman Milad avait été arrêté par les autorités libyennes en octobre 2020 pour trafic d’êtres humains, avant d’être relâché en avril 2021 "faute de preuves". Il faisait également l’objet d’une notice d’Interpol à la demande d’un comité du Conseil de sécurité de l’ONU qui, en juin 2018, avait sanctionné six chefs de réseaux de trafiquants de migrants en Libye. (...)
Les experts de l’ONU qui surveillent les sanctions ont affirmé que Milad et d’autres membres des garde-côtes "sont directement impliqués dans le naufrage de bateaux de migrants à l’aide d’armes à feu".
"Bija est parti et nous sommes tristes qu’il n’ait pas été tenu responsable de ses crimes contre l’humanité et de sa marchandisation des migrants et des réfugiés", a déploré sur X David Yambio, réfugié soudanais en Italie, passé par la Libye.