
Monsieur le Président,
Nous sommes plus qu’inquiets.
La France s’apprête à accueillir la troisième Conférence des Nations Unies sur l’océan, mais alors que l’année 2024 a dépassé les records de température depuis l’ère préindustrielle, que l’océan se réchauffe à une vitesse vertigineuse et que cela entraîne un cortège d’événements climatiques extrêmes aux conséquences dévastatrices, comme en Europe Centrale, à Valence, à Mayotte ou dans le Pas-de-Calais, nous constatons que le programme de la Conférence des Nations Unies sur l’océan échoue obstinément à adresser les deux principales causes de destruction de l’océan : les pêches industrielles et l’exploitation des hydrocarbures.
Nous avons à cœur de faire en sorte que ce sommet historique aboutisse à un succès décisif permettant à la France, première puissance maritime européenne et deuxième au niveau mondial, de rayonner durablement à l’échelle internationale grâce au courage que notre pays aura eu à agir « immédiatement et massivement » pour le climat et la biodiversité, comme le demandent les experts du GIEC depuis des années. Mais cela nécessite une rupture totale avec le maintien du statu quo qui préside à l’organisation actuelle de la Conférence.
En accueillant la Conférence onusienne sur l’océan, vous avez créé l’opportunité politique pour que des décisions d’une importance capitale pour l’avenir proche de l’humanité soient prises.
Est-il encore besoin de rappeler l’urgence, le désastre, le péril ?
Les scientifiques s’époumonnent depuis des décennies pour que soit pris en compte l’état d’urgence vitale qui caractérise l’étape à laquelle l’humanité est parvenue. Les chercheurs de renom qui avaient coordonné en 2017 “L’avertissement des 15 000 scientifiques à l’humanité”[1] ont repris la plume pour dresser un état des lieux du climat intitulé « Des temps périlleux sur la planète Terre »[2]. “Nous sommes au bord d’une catastrophe climatique irréversible” nous mettent-ils en garde. La réalité inexorable de la destruction de la biosphère et du Système-Terre est désormais visible quotidiennement. Nul besoin d’imagination pour comprendre par quels mécanismes le changement climatique, couplé aux activités industrielles destructrices des espèces sauvages et des habitats naturels, est en train d’éroder la sécurité de nos sociétés : la déstabilisation du cycle de l’eau, les sécheresses chroniques, la désertification des terres, les canicules, les mégafeux, les inondations, ouragans, cyclones et tempêtes extrêmes, la fonte des glaces, l’expansion thermique de l’océan, l’élévation du niveau des mers, la disparition des territoires insulaires, l’engloutissement accéléré des zones deltaïques, la modification du trait de côte, la destruction des écosystèmes côtiers, la salinisation des terres littorales, l’anéantissement de la biodiversité, l’acidification de l’océan, l’abrasion des fonds marins par les méthodes de pêche destructrices telles que le chalutage, l’effondrement des puits de carbone terrestres, la perte de l’Arctique comme zone d’absorption de CO2, les chutes des rendements agricoles, la précarisation des populations vulnérables, la fragilisation de la sécurité alimentaire globale et notamment dans le Sud, les déplacements forcés massifs de populations, les tensions sur l’accès aux ressources, la multiplication des conflits armés…
Cette liste n’est pas exhaustive. Et au fond, elle est inutile, ou devrait l’être. Vous devriez savoir tout cela parfaitement. En tant que gardien de notre sécurité collective, vous devriez ne penser qu’aux façons d’éviter le décrochage du Système-Terre, en commençant par la solution la plus facile à mettre en œuvre : la protection des écosystèmes, reconnue par le GIEC comme le deuxième levier le plus efficace, après la réduction des émissions de gaz à effet de serre, pour lutter contre le changement climatique.
Ce qui se décidera à Nice a le potentiel d’enrayer le scénario dystopique qui s’est mis en marche. L’océan est le principal régulateur climatique de la planète. Vous savez, comme nous, qu’aucune solution pour la stabilisation du climat n’est possible sans la préservation réelle et efficace de l’océan.
Les décisions prises au sommet de l’ONU sur l’océan impacteront l’avenir de l’humanité et de l’ensemble des espèces vivantes. La France affiche l’ambition de faire de l’accord de Nice, qui pourrait émaner de cette conférence internationale, un équivalent pour l’océan de l’Accord de Paris pour le climat.
En l’état actuel du programme prévu, cela n’a aucune chance d’advenir. Mais vous pouvez en décider autrement. (...)