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Mediapart
« Les oubliés de la belle étoile » : briser le silence d’enfances maltraitées
#ecolesprivees #maltraitance #enfants #BelleEtoile
Article mis en ligne le 12 mars 2025
dernière modification le 10 mars 2025

D’anciens pensionnaires d’un centre de redressement catholique de Savoie se retrouvent, le temps d’un été, et se souviennent de violences qu’ils y ont subies et qu’ils n’avaient jamais racontées : coups, malnutrition... (...)

A plusieurs moments dans Les oubliés de La Belle Étoile, la relation de confiance qui s’est nouée entre la filmeuse et les filmés impressionne. Cette confiance permet à Clémence Davigo d’enregistrer ce que ces hommes, d’anciens pensionnaires du centre de redressement de La Belle-Étoile, à Mercury, en Savoie, tout près d’Albertville, n’ont jamais dit auparavant.

Près d’un millier d’enfants ont été placés, de 1948 aux années 1970, dans cet établissement géré par un abbé. Ceux qui témoignent devant la caméra de Clémence Davigo disent avoir subi des coups, souffert de malnutrition, et pour certains subi des attouchements. Comme la réalisatrice l’explique dans l’entretien qu’elle nous a accordé, ce film aurait pu être « juste un film d’horreur ». Son visionnage est difficile, mais Les oubliés de La Belle Étoile décrit aussi une communauté formée par ces anciens, aux parcours de vie abîmés, parfois passés par la case prison, et qui trouvent un nouvel élan, en libérant leur parole ensemble, le temps d’un été. (...)

informations pratiques sur le film :
 (Alter Ego productions)
Les oubliés de la Belle Etoile

Clémence Davigo : Ce film commence pour moi avec la rencontre de ‘Dédé’, André Boiron, lors du tournage de mon premier film, Enfermés mais vivants, dans lequel je fais le portrait d’un couple, Annette et Louis, qui se sont aimés pendant des années, malgré la prison qui les séparait. Dédé était un ami de de Louis. Il a fait de la prison [35 ans], et m’a raconté son histoire. Notamment comment, à l’âge de neuf ans, il a été enfermé dans ce centre de la Belle Étoile. Un jour, en 2017, il m’a appelé et me dit : ‘J’ai retrouvé des gens sur les réseaux sociaux, sur une page Facebook créée par d’autres anciens de la Belle Étoile. Ils se réunissent une fois par an autour d’un repas partagé au fort de Tamié [dans les hauteurs de la commune de Mercury, en Savoie - ndlr]. Est-ce que ça te dit de m’accompagner ?’ (...)

Quand j’ai rencontré ces hommes, j’ai été surprise de les voir parfois se comporter à la lisière de l’enfance et de la vieillesse. Dédé, par exemple, emploie souvent des mots d’enfant, il parle de ses bobos. Daniel, dans sa manière de regarder la nature et les insectes. Le rapport à la nourriture, dont ils ont été privés petits, est quelque chose de très important, qu’ils partagent tout au long du film.

D’un point de vue esthétique, l’idée était de trouver un cadre qui soit juste, à leur mesure. J’ai cherché à remonter petit à petit vers l’enfance, à déceler des traces, des indices de cette période qui les a tant marqués psychiquement et physiquement. Filmer les corps, les peaux, les regards, vif et fragiles. Le vieillissement diminue leurs forces, mais nous nous rencontrons dans un moment de leurs vies où ils sont enfin libres de leurs mouvements. Je voulais capter ça. (...)

Je les accompagne. Ce à quoi l’on assiste dans le film, ce sont différents registres d’écoute, et de prise en compte de la parole. Une parole partagée, depuis la maison, à plusieurs. Puis la cellule d’écoute, plus institutionnelle, depuis le diocèse. Jusqu’à l’évêque, qui n’écoute pas de la même façon que la cellule d’écoute, et dont la réponse n’est pas, de toute évidence, à la hauteur de ces hommes. Je veux préciser que le film s’arrête à un instant T. La vie continue et les choses peuvent être amenées à évoluer.

Le film porte aussi sur le rapport que notre société entretient encore aujourd’hui avec la punition, l’éducation, l’autorité et les violences que peuvent produire les institutions. Écouter est une première étape, nécessaire. Mais il faut des moyens pour que les choses avancent et ne recommencent pas. (...)

Comment êtes-vous parvenue à filmer les réunions de la cellule d’écoute mise en place par le diocèse ?

La demande venait des anciens eux-mêmes. La cellule a compris que cela faisait partie du processus, et que c’était important que les deux caméras soient là. Il fallait garder une trace, dire que ce moment a bien eu lieu. En théorie, ces rencontres sont privées et individuelles. Les gens de la cellule d’écoute ont accepté de bousculer le protocole. Durant ces réunions, ma place évolue : je me situe davantage comme une observatrice, pour rendre compte le plus fidèlement possible des échanges.