
« Mules ». C’est le nom pas très heureux donné à ces voyageurs qui arrivent tous les jours en nombre à l’aéroport d’Orly avec de la drogue, majoritairement de la cocaïne, cachée dans les valises mais aussi dans différentes parties du corps. Dans la plupart des cas, ils se font interpeller et cuisiner par l’antenne de l’Ofast (office anti-stupéfiants) avant d’être jugés en quelques dizaines de minutes en procédure de comparution immédiate au tribunal de Créteil. Des avocats dénoncent l’absence de personnalisation des peines qui sont prononcées. La police peine à endiguer le phénomène.
(...) « Je suis venue passer des vacances », dit-elle aux magistrats qui l’interrogent, une main posée désormais sur son ventre. Sauf que les deux jeunes femmes avaient dans leurs bagages six kilos et demi de cocaïne, dont une partie dissimulée dans le sac à dos de Steffy. Wendy la dédouane : « Elle n’a rien à voir là-dedans, elle est innocente. » Le président du tribunal, habitué : « J’imagine qu’il est superflu de poser quelques questions sur les destinataires, les commanditaires, vous n’y répondrez pas. »
En revanche, Wendy parle de sa situation. Elle est agent polyvalent dans un établissement scolaire, et gagne 800 euros par mois. Sur ce salaire, le seul du foyer, ils sont cinq à vivre. Pour transporter cette drogue, elle a été rémunérée 8 000 euros. « J’étais dans le besoin, poursuit-elle. J’aide ma mère à payer les courses, le loyer. » Son avocate lui demande : « Est-ce que vous pensez que ça valait le coup ? » La jeune femme souffle : « Non. » Le parquet réclame 5 ans de prison dont 3 avec sursis. Un quantum pas très éloigné du tarif dont tout le monde parle : 1 an par kilo.
Le ministère public considère que les deux sœurs sont dans le même bateau et souhaite éviter qu’un message ne soit envoyé aux têtes de réseaux : « S’il n’y a pas d’incarcération, on peut se demander si la filière ne va pas recourir à des femmes enceintes. » Fin des débats. L’avocate qui assiste les deux sœurs s’insurge alors : « J’ai chronométré, 22 minutes et on vous demande 5 ans de prison. » (...)
Juger les « mules » à Créteil est presque devenu un systématisme. « On a l’impression que c’est à l’aveugle, presqu’à la chaîne », confie un acteur de la justice du Val-de-Marne. Ce constat est également celui de Me Laura Temin, avocate spécialisée dans ceux qu’elle appelle les « transporteurs » plutôt que « mules ». (...)
Ces « mules » ont pourtant toutes un profil qui interroge et mériterait qu’on s’y attarde plus : elles sont toutes dans une grande précarité, comme Steffy et Wendy. Ce sont généralement des femmes et des hommes de moins de 30 ans parfois recrutées sur un bout de trottoir. Et elles ont peu d’information à donner aux enquêteurs. « Ce sont des dossiers très compliqués à mener », reconnaît Me Temin.
C’est tout l’objet de l’antenne de l’Ofast (Office anti-stupéfiants) de la police judiciaire qui a pris ses quartiers depuis 2020 à proximité de l’aéroport d’Orly, principale porte d’entrée des « mules ». (...)
tout le monde sait qu’ici, dans cet entrepôt, travaillent douze policiers dans des conditions qui ne respectent ni les mis en cause, ni les fonctionnaires. Sujet qui a fait l’objet d’une visite du bâtonnier du Val-de-Marne inquiet pour les mis en cause, de députés RN inquiets pour les agents, et de parlementaires de gauche inquiets pour un peu tout le monde. (...)
Tout ça pour quel résultat ? « Les réseaux s’adaptent, on en trouve désormais plus sur les vols qui viennent de Fort-de-France (Martinique) », constate un policier de l’Ofast (...)
La stratégie des trafiquants c’est tout simplement de saturer les services de police et de justice. Une mule interpellée c’est deux enquêteurs mobilisés pendant quatre jours, car en matière de trafic, la garde à vue est de 96 heures au maximum. »
Freddy Brossard, secrétaire national du SNUIPN-FSU abonde : « Deux enquêteurs occupés pour le traitement d’une mule, c’est deux enquêteurs qui ne peuvent pas s’occuper des vrais trafiquants, des têtes de réseaux. (...)
La réalité d’aujourd’hui c’est qu’il n’y a pas assez d’enquêteurs pour s’occuper des réseaux car il y a beaucoup trop de procédures en flagrants délits, les moyens ne sont pas là. Le travail des enquêteurs des antennes d’Orly et de Roissy est clairement pollué par le traitement massif des mules, alors qu’un commissariat pourrait largement traiter ce type d’affaires ». (...)